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Page:Aubert - Paix japonaise, 1906.djvu/365

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mité, l’infini le hante ; toujours il veut plus de solitude, plus de nature sauvage, plus d’espace, tandis qu’indéfiniment son imagination, avide du vertige de la durée, entasse des nombres pour concevoir des cycles sans fin et que son scrupule exige plus d’ascétisme corporel, plus de perfectionnement moral.

Au Japon, les gens qui quittent le monde par pessimisme ne croient pas que la vie soit radicalement mauvaise, mais la société est vraiment trop troublée de guerres, trop compliquée d’étiquette. Ce n’est pas une croyance métaphysique, c’est une expérience sociale, qui les détache du monde. On préfère s’isoler, on fuit la ville, on gagne la campagne aux portes de la ville ; le climat est tempéré, les paysages sont proportionnés à la taille et à l’action humaines, et l’on se ménage un coin où se nicher dans une nature petite, que l’on remanie et retouche, que l’on humanise. Plus d’Himalaya, mais des chaînettes de collines familières ; leur Gange n’est qu’un ruisselet, et la jungle s’est apprivoisée en jardin. Là on goûte la sérénité sèche, lumineuse, sonore des automnes, le glissement des nuées, les changements de teintes aux feuilles et aux fleurs avec les saisons, le calme et la fraîcheur des nuits lunaires. L’énorme, l’illimité, l’indéfini ne sont ni familiers, ni recherchés : on n’aime pas les grandes vues découvertes de montagnes ou de forêts, on préfère les horizons limités, tout proches. La solitude est chère, mais avec quelques amis, quelques initiés. L’intime besoin de sociabilité de la race n’est jamais sacrifié. On ne s’embar-