Page:Aubigné - Œuvres poétiques choisies, 1905, éd. Van Bever.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

STANCES

I[1]


O mes yeux abusez, espérance perduë,
Et vous, regars tranchans qui espiez ces lieux,
Comme je pers mes pleurs, vous perdez vostre veuë,
Les peines de mon cueur et celles de mes yeux.

C’est remarquer en vain l’assiette et la contrée
Et juger le païs où j’ay laissé mon cueur :
Mon desir s’y en voile et mon ame alteree
Y court ainsi, qu’à l’eau le cerf en sa chaleur.

Ha ! cors voilé du cueur, tu brusle[s] sans ta flamme,
Sans esprit je respire et mon pis et mon mieux,
J’affecte sans vouloir, je m’anyme sans ame.
Je vis sans avoir sang, je regarde sans yeux.

Le vent emporte en l’air ceste plainte poussée,
Mes désirs, les regretz et les peines de l’œil.
Les passions du cœur, les maux de la pensée,
Et le corps délaissé ne veult que le cercueil.

  1. Cf. Ms. Tronchin viii, fol. 46 v. et 47 r. — Ms. Monmerqué, p. 162.