Page:Aubigné - Les Tragiques, éd. Read, 1872.djvu/91

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Le secret plus obscur en l’obscur des esprits,
Puis que de ton amour mon ame est eschauffée,
Jalouze de ton nom, ma poictrine, embrazée
De ton feu pur, repurge aussy de mêmes feux
Le vice naturel de mon cœur vitieux ;
De ce zele tres-sainct rebrusle-moy encore,
Si que (tout consommé au feu qui me devore,
N’estant serf de ton ire, en ire transporté
Sans passion) je sois propre à ta vérité.
Ailleurs qu’à te loüer ne soit abandonnée
La plume que je tiens, puis que tu l’as donnée.
Je n’escry plus les feux d’un amour inconneu ;
Mais, par l’affliction plus sage devenu,
J’entreprens bien plus haut, car j’apprens à ma plume
Un autre feu, auquel la France se consume.
Ces ruisselets d’argent que les Grecs nous feignoient,
Où leurs poëtes vains beuvoient et se baignoient,
Ne courent plus icy ; mais les ondes si claires,
Qui eurent les saphyrs et les perles contraires,
Sont rouges de nos morts ; le doux bruit de leurs flots,
Leur murmure plaisant, hurte contre des os.
Telle est, en escrivant, non ma commune image ;
Autre fureur qu’amour reluit en mon visage.
Sous un inique Mars, parmy les durs labeurs
Qui gastent le papier, et l’ancre de sueurs,
Au lieu de Thessalie aux mignardes vallées,
Nous avortons ces chants au millieu des armées,
En delassant nos bras de crasse tous roüillez,
Qui n’osent s’esloigner des brassards despoüillez.
Le luth que j’accordois avec mes chansonnettes
Est ores estouffé de l’esclat des trompettes :
Icy le sang n’est feint, le meurtre n’y deffaut,