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INTRODUCTION.

trouva auprès d’elle son Allemagne, » et cette fois il épousa celle qu’il aimait (1583), non sans avoir préalablement fait sa paix avec son roi, à qui il n’avait pu tenir longtemps rigueur. Le roi de Navarre, qui connaissait sa fidélité, oubliait volontiers ses accès d’humeur : il faisait appel à d’Aubigné quand il avait besoin d’un serviteur dévoué pour une mission importante, et il écoutait volontiers ses conseils. C’est ainsi qu’en 1577 il le chargea de négociations secrètes en Guyenne et en Languedoc ; en 1585 il se rallia à l’avis de d’Aubigné, qui, dans l’assemblée de Guitres, conseillait énergiquement la lutte contre la Ligue, tandis que le vicomte de Turenne recommandait la neutralité[1] ; enfin, en 1590, il confiait à d’Aubigné la garde du cardinal de Bourbon, le vieux roi de la Ligue, en dépit de Duplessis-Mornay qui alléguait « les grands mescontentements d’Aubigné et ses perpétuelles riottes avec son Maistre[2] ». Henri de Navarre ne se bornait pas à lui témoigner en toute occasion une confiance que d’Aubigné méritait, il le récompensait encore de ses services. Il l’avait nommé maréchal de camp, et il lui confirma en 1589 le gouvernement de la place de Maillezais dont d’Aubigné s’était emparé courageusement.

À partir de 1593, d’Aubigné s’éloigne d’Henri IV : il est curieux, « il est même touchant… de contempler chez lui la Réforme triste et blessée et qui s’en va peu à peu mourir d’avoir produit et enfanté comme une mère ce roi glorieux, ce cher ingrat qui se détache d’elle et dont elle reste fière cependant[3]. » Ce sentiment éclaire et explique la période qui, dans la vie de d’Aubigné, s’étend de 1593 à 1610. Henri IV n’est plus roi de Navarre, il est devenu roi de France : il ne peut plus se conduire en chef de parti, il se doit à tous ses sujets. Pour satisfaire les catholiques, il abjure ; pour ne point être ingrat envers les huguenots qui ne l’ont jamais abandonné dans l’infortune, il prépare l’édit de Nantes. Mais d’Aubigné qui n’allie pas, comme Duplessis-Mornay, à une volonté ferme une certaine souplesse politique, qui ne sait pas, grondeur et rude

  1. Cf. Hist. univ., VI, 206 sqq.
  2. Cf. I,71, Vie.
  3. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, X, 259.