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Page:Aubigné - Les Tragiques, I. Misères, éd. Bourgin et al., 1896.djvu/36

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INTRODUCTION.

Au jour de la Saint-Barthélémy, la nature entière est plongée dans la tristesse :

Et le Soleil, voyant le spectacle nouveau,

À regret esleva son pasle front des ondes,
Transy de se mirer en noz larmes profondes,

D’y baigner ses rayons… (IV, 215, Fers.)

Mais le plus saisissant exemple de ces personnifications est cet admirable passage du dernier livre (IV, 296) où d’Aubigné nous montre tous les éléments s’élevant contre les réprouvés qui cherchent à fuir la vengeance divine, et leur reprochant les crimes dont ils les ont souillés.

Une autre marque de l’imagination mythologique de d’Aubigné, c’est l’emploi résolu et constant du merveilleux, D’Aubigné croit devoir le justifier, dans l’Épître aux Lecteurs, par l’exemple d’Homère, de Virgile et du Tasse. En réalité le merveilleux qu’il a créé n’a rien de commun avec celui de ces poètes : car il est vraiment chrétien. Il lui arrive sans doute d’y mêler involontairement des souvenirs de la fable païenne (cf. IV, 137, Ch. dorée, et 202, Fers) : mais il a su donner à Dieu un caractère auguste et terrible qui est bien chrétien et qui ne rappelle guère le Jupiter antique. Il domine tout le poème, invisible et présent, et à chaque instant d’Aubigné nous ramène à lui par les appels qu’il lui adresse. Il ne se mêle point aux hommes comme les Dieux païens ; il les dirige du haut du Ciel et les juge. C’est là-haut que d’Aubigné nous le montre, en de magnifiques descriptions, environné des anges et des séraphins qui le contemplent en extase :

Au palais flamboiant du haut Ciel empiree

Reluit l’Eternité en présence adorée

Par les Anges heureux… (IV, 117, Ch. dorée.)

Les scènes qui se passent dans ce cadre divin sont simples et graves : c’est Satan que Dieu confond (IV, 193, Fers), ou ce sont la Justice et la Piété qui viennent se plaindre à Dieu d’être insultées sur terre (IV, 1 18, Ch. dorée) ; ou bien c’est encore la procession triomphale des élus entrant dans la Jérusalem céleste après le martyre qui les a sanctifiés (IV, 140, Feux). Le Dieu de d’Aubigné est bien le Jéhovah biblique, étranger à nos passions, mais terrible dans sa