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La Chambre Doree, Liv. III.

Il void les vents eſmeus, posftes du grand Eole,
Faire en virant gronder la giroüette folle :
Il deſcend, il s’approche, & pour voir de plus prés

Il met le doigt qui juge & qui punit aprés,
L’ongle dans la paroi, qui de loin reluiſante
Eut la face & le front de brique rougiſſante :
Mais Dieu trouva l’estoffe & les durs fondemems

Et la pierre commune a ces fiers bastimens

D’os de testes de morts, au mortier execrable

Les cendres des bruſlez avoyent ſervi de fable,

L’eau qui les detrempoit eſtoit du ſang versé,
La chaux vive dont fut l’edifice enlacé

Qui blanchit ces tombeaux & les ſalles ſi belles,
C’eſt le meſlange cher de nos triſtes moëlles.

Les Poëtes ont feint que leur Dieu Iupiter

Eſtant venu du Ciel les hommes viſiter,
Punit un Lycaon mangeur d’homme execrable,
En le changeant en loup à ſa tragique table :
Dieu voulut viſiter cette roche aux lions,
Entra dans la taniere & vit ces Lycaons,
Qui lors au premier mets de leurs tables exquiſes
Estoient ſervis en or, avoient pour friandiſes

Des enfans deſguiſez : il trouva la dedans

Des loups cachez aians la chair entre les dents.
Nous avons parmi nous cette gent Canibale,
Qui de ſon vif gibier le ſang tout chaud avalle,
Qui au commencement par un trou en la peau

Succe ſans eſcorcher le ſang de ſon troupeau,
Puis acheve le reste, & de leurs mains fumantes

Portent à leurs palais bras & mains innocentes,