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Miseres, Liv. I.
Venir aux mains, toucher, faire sentir aux Grands

Combien ils sont petits & foibles & sanglants.
Des ordures des Grands le Poète se rend sale,
Quand il peint en Cæsar un ord Sardanapale,
Quand un traistre Sinon pour sage est estimé,

Desguisant un Neron en Trajan hien-aimé,
Quand d’eux une Thaïs une Lucrece est dicte,

Quand ils nomment Achill' un infâme Thersite,
Quand , par un fat sçavoir, ils ont tant combatu

Que, souldoyez du vice , ils chassent la vertu:
Ceux de qui les espritz sont enrichis des graces :
De l'esprit eternel, qui ont à pleines tasses

Beu du Nectar des Cieux : (ainsi que le vaisseau

D’un bois qui en poison change la plus douce eau)
Ces vaisseaux venimeux, de ces liqueurs si belles

Font laconite noir & les poisons mortelles.
Flateurs, je vous en veux, je commence par vous
A 
desploier les traitz de mon juste courroux :
Serpents qui retirez de mortelles froidures,
Tirez de pauvreté, eflevez des ordures,
Dans le sein des plus Grands ne sentez leur chaleur,
Plustost que vous picquez de venin sans douleur

Celuy qui vous nourrit, celui qui vous appuie :

Vipereaux, vous tuez qui vous donne la vie :
Princes ne prestez pas le costé aux flateurs,

Ils entrent finement, ils sont subtils questeurs,

Ils ne prennent aucun que celuy qui se donne :
A 
peine de leurs lacqs voi-je sauver personne:


::Mesmes en les fuyant nous en sommes deçeus,


Et bien que repoussez souvent ils sont receus,