Page:Audebrand - Derniers jours de la Bohème, Calmann-Lévy.djvu/358

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chœur en parlant de l’homme à la redingote grise.

« Il est démodé, disaient-ils. On ne parle plus de lui que dans les faubourgs. »

Pourquoi ne noterais-je pas le fait en passant ? À cette même époque, à la Chambre des pairs, dont je faisais alors le compte rendu, j’ai vu tel jeune duc, fils d’un général de l’empire, filleul de César, dissimuler son prénom, sous prétexte qu’il était descendu abondamment dans la canaille, si bien qu’il ne se faisait plus appeler que Léon. C’était aussi ce qu’avait bien soin de faire Léo Lespès, lequel, en réalité, aurait dû signer : Napoléon Lespès. Nul n’aurait osé soupçonner ce que nous réservait un prochain avenir. Je le répète parce que c’est vrai : la mode était ou d’oublier le dieu ou de se moquer de lui.

En ce temps-là, au Corsaire, journal d’avant-garde, sorte de moniteur de la moquerie, débutaient dix ou douze prosateurs ou poètes, les illustrations de l’avenir. Au milieu d’eux se voyait Théodore de Banville, alors à peu près inconnu, mais très intrépide farceur sous sa pâle figure de pince-sans-rire. Sur le coup de deux heures, il arrivait de la Rive Gauche, s’asseyait à la table de rédaction, roulait entre ses doigts une cigarette et, tout à coup, d’un ton solennel, en s’adressant à tous ceux qui se trouveraient-là, il disait :

« Messieurs, regardez bien, je vous prie. Je vais improviser un portrait, un chef-d’œuvre qui