Page:Audebrand - Derniers jours de la Bohème, Calmann-Lévy.djvu/84

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d’artistes. Ces irréguliers, toujours refoulés par la civilisation, y accouraient par escouades. C’étaient les comédiens de la banlieue qui avaient commencé. À leur suite étaient venus des poètes, des musiciens, des sculpteurs, mais surtout des peintres. L’espèce s’y plaisait pour les motifs les plus sérieux. On y trouvait trois choses précieuses et à bon compte, sans la griffe des vautours (lisez : des propriétaires), le calme, le plein air et les couchers de soleil. La vérité était que le vin échappait à l’octroi et aussi le beurre, et aussi la chandelle. D’où il résultait qu’on dînait royalement aux tables d’hôte à 18 sous, quand on avait 18 sous. Laissez-moi ajouter, mais en courant, que les recors de la prison pour dettes (l’abbaye de Clichy) n’aimaient pas à s’aventurer dans cet arrondissement des fondrières. Tel était l’endroit qu’on appelle aujourd’hui la Butte Sacrée et qui n’était encore que la Butte tout court, mais, par tradition, c’était le chef-lieu de la Vache Enragée, ce qu’il n’a pas cessé d’être.

Quand un hardi voyageur descendait du Moulin de la Galette, point culminant de ces parages, il finissait par arriver, en sueur, tout essoufflé, à ce ruban des boulevards extérieurs où, depuis lors, on a construit le cirque Fernando. Encore cinq pas et l’on entrait dans Paris. Dès lors il fallait marcher à petits pas, avec précaution, ou plutôt glisser sur cette pente de la rue des Martyrs, qui ne ressemble pas mal à un escalier.