Page:Audebrand - Derniers jours de la Bohème, Calmann-Lévy.djvu/86

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ment de sa gloire, elle était le rendez-vous de joyeux viveurs.

Il me semble bien qu’elle date de 1848, époque à laquelle, se donnant du champ, comme on dit, les masses populaires, brusquement émancipées par le 21 février, ont commencé à prendre part à la vie commune. C’aurait donc été d’abord un club où l’on buvait en pérorant, mais je n’oserais l’affirmer.

En tous cas, pour Paris, pas encore germanisé, c’était une chose encore nouvelle que cette vaste enceinte n’ayant pas l’aspect d’un café français. Aux murs on ne voyait ni fresques emblématiques, ni dorures, ni ornements d’aucun genre. Près du comptoir où s’asseyaient deux dames d’Alsace, blondes et rieuses, l’œil s’arrêtait sur une naïve peinture représentant le roi Cambrinus soulevant un énorme verre, débordant de bière écumante, qu’il se disposait à approcher de ses lèvres. C’était l’enseigne de l’établissement. À l’intérieur, sur deux rangs, dans toute la profondeur du hall, — vous entendez depuis la rue des Martyrs jusqu’à la rue Notre-Dame-de-Lorette, — des tables de chêne cirées en noir et du style allemand le plus pur. Aussitôt qu’arrivait le soir, la salle s’illuminait à giorno par une grande profusion de gaz.

À dater de huit heures, un épais nuage de fumée s’échappant de cent cinquante pipes aurait pu faire accroire à un mythologue qu’il se trou-