Page:Audiat - Un poète abbé, Jacques Delille, 1738-1813.djvu/15

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pénétrer mais qu’il n’a jamais habitée. Le poète a de doux souvenirs de son enfance :


Ô riant Chanonat, ô fortuné séjour !…
Voici l’arbre témoin de mes amusements.
C’est ici que Zéphyr de sa jalouse haleine
Effaçait mes palais dessinés sur l’arène ;
C’est là que le caillou lancé dans le ruisseau
Glissait, sautait, glissait et sautait de nouveau.
Un rien m’intéressait. Mais avec quelle ivresse
J’embrassais, je baignais de larmes de tendresse
Le vieillard qui jadis guida mes pas tremblants,
La femme dont son lait nourrit mes premiers ans,
Et le sage pasteur qui forma mon enfance.


Tout y est, sauf la mère.

Chanonat, célèbré par Delille, lui a été reconnaissant. Une modeste fontaine porte gravés ces cinq vers en son honneur qui prouvent au moins la bonne volonté :


À notre Illustre nourrisson,
À Delille, enfant d’Apollon,
Nous consacrons cette fontaine,
Ce sont les eaux de l’Hyppocrène
Puisqu’elles coulent sous son nom.


En quittant le presbytère de la Limagne, l’écolier fut mis au collège de Lisieux à Paris. Sa famille maternelle, — non son parrain, dit à tort Pongerville, ni son père, comme on l’a écrit — payait sa modique pension. Ses progrès y furent rapides. Nécessité fait loi. Rien ne prouve que cette enfance sans mère eût été obscurcie par quelque mélancolie. Espiègle et spirituel, il était bon enfant : écureuil, « sapajou », selon le sobriquet de ses camarades ; on lui pardonnait aisément ses succès hors ligne.

Dans sa seconde année de rhétorique, il remporte tous les premiers prix : trois ans après, il obtint encore le prix d’éloquence latine proposé aux élèves de l’Université qui se destinaient au professorat. Le professorat est encore la carrière de beaucoup de jeunes