Page:Audiat - Un poète abbé, Jacques Delille, 1738-1813.djvu/18

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Il n’était point de bonne fête, si l’abbé Delille n’y lisait des vers ; la mode des monologues !


On récite déjà les vers qu’il fait encore.


Dans cette société aristocratique, qu’on représente comme fermée, le talent forçait toutes les portes. Le mystère de sa naissance n’était-il pas un attrait de plus ? Jean-Jacques Rousseau, jadis laquais et déjà mari de Thérèse Levasseur, n’était-il pas l’ami des plus grandes dames, même après Mme de Warens ? Chamfort, du même pays et, croyait-on, de même naissance que Delille[1], n’était-il pas recherché pour son esprit ? Et l’enfant trouvé sur les marches de l’église de Saint-Jean-le-Rond, ce fils de la femme d’un vitrier et d’abord de Mme de Tencin, n’était-il pas D’Alembert ? Et Maury, le fils d’un cordonnier de Valréas, et tant d’autres ? Le salon de Mme Geoffrin, une simple bourgeoise, était des plus recherchés. Pour ce monde, avide de plaisir, c’était une fête qu’une lecture de Delille. Il lisait bien, ce « dupeur d’oreilles ». Puis le sujet traité ! La campagne, les étangs, les jardins, les Géorgiques ; tout était à l’idylle :


Dans ces prés fleuris,
Qu’arrose la Seine…


Qui, à cette époque, n’aimait la nature, ne se pâmait d’aise à la vue d’une colline, d’un buisson, d’une fleurette agreste ? L’horrible Fabre d’Églantine, ce cabotin féroce, fredonnait :

  1. C’était l’opinion générale parce qu’il s’appelait Nicolas et qu’il prit le nom de Chamfort ; et il ne manque pas de biographies qui le répètent. Voici l’acte de naissance extrait de la paroisse de Saint-Genès de Clermont, dont une copie ancienne est dans les papiers Chamfort aux archives nationales, qui nous a été communiqué par M. A. Vernière : « 6 avril 1740. Baptême de Sébastien-Roch Nicolas, fils légitime de François Nicolas, marchand épicier, et de Thérèse Croizet, son épouse. Son parrain, Sébastien-Roch Terveyre, serrurier, et sa marraine Catherine Chanoine, femme à Bonnet Gauthier ». Et voilà comment, ayant eu pour marraine Catherine Chanoine, on l’a fait fils d’un chanoine.