Page:Audiat - Un poète abbé, Jacques Delille, 1738-1813.djvu/34

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suivi par deux pirates qui faillirent l’atteindre ; l’anxiété était grande ; seul, le poète conservait son sang-froid ; il continua à plaisanter et à divertir ses compagnons : « Ces coquins-là ne se doutent pas de l’épigramme que je ferai contre eux. » À Constantinople, il passa un an faisant sa résidence à Térapia, un site enchanté, sur les rives du Bosphore. L’esprit ému de ce magnifique spectacle qui se déroulait sous ses yeux, il écrivit à Paris des lettres enthousiastes. « Chaque jour je déjeune en Asie et dîne en Europe. » C’est là qu’il composa les huit chants de son poème l’Imagination, qui parut en 1806. Il était allé, suivant l’expression un peu recherchée de l’académicien Arnaut, « sur les ruines de la Grèce et d’Athènes élever un monument à l’une de leurs divinités, l’imagination. »

Ce temps-là fut la plus heureuse époque de sa vie. Bienvenu de tous, honoré des puissants, illustre par ses écrits, il jouissait d’une très honnête aisance. Comme toute la société d’alors, il savourait le présent sans prévoir — qui l’aurait prévu ? — la catastrophe dont les sourds grondements se faisaient entendre déjà.