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— Savoir ? faisait-il.

Il en eut la preuve quelques semaines avant sa mort.

Les hommes, alors, tous occupés à pointer des canons ou à fabriquer des obus, n’avaient pas le temps de réparer un tuyau de chauffage destiné à entretenir la chaleur dans la chambre d’un malade. Il s’en trouva deux cependant qui sacrifièrent leur nuit de repos à cette réparation nécessaire. Et au matin, lorsqu’en plus de leur salaire on leur offrit un bon pourboire en récompense de leur adresse et de leur activité, ils refusèrent simplement en disant :

— Pour Mirbeau, nous aurions même travaillé pour rien.

Lorsqu’il mourut, l’amour des pauvres vint encore à lui.

Tandis que la foule se rangeait derrière le cercueil, un fiacre s’avança comme pour prendre la file et suivre aussi le convoi. Mais au même instant un passant qui semblait très pressé l’arrêta en lui faisant signe de tourner. Il y eut une discussion. Le vieux cocher refusait de charger le client sans vouloir donner aucune raison pour cela. Et comme le passant, fort de son droit, insistait et prenait quand même place dans la voiture, le cocher lui dit l’air chagrin :

— Enfin, Monsieur, puisque vous l’exigez, je vais vous conduire chez vous, mais j’aurais été bien plus content de suivre Mirbeau jusqu’au cimetière.

MARGUERITE AUDOUX.