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LE SUICIDE

(Ce fragment est extrait d’un livre à paraître qui sera le second volume de « Marie-Claire »)


C’est pour ce soir.

Depuis longtemps je pensais à mon petit poêle, je voulais le pousser un peu, afin de déranger le tuyau comme s’il se fût dérangé de lui même sans que j’y eusse pris garde. Mais, ce matin un grand vent est venu qui a soulevé le rideau de la fenêtre et l’a laissé accroché à la gouttière du toit. Pour le décrocher, la hauteur d’une chaise ne me suffira pas, il me faudra monter sur la table que j’approcherai tout près de la fenêtre, et ainsi, les bras levés, et le dos tourné au vide, il me sera facile de me laisser tomber.

Une crainte me vient de souffrir encore ; si en tombant j’allais heurter la grille du balcon qui est en dessous ? J’en ressens des douleurs dans toute ma chair, et encore une fois je demande : pourquoi ? Pourquoi ?

Un souvenir lointain me revient tout à coup. C’était dans une rue large et pleine de passants. Un homme courait afin d’échapper aux gens qui le poursuivaient. Il courait tenant un doigt levé pour accentuer ses paroles :

— Je n’ai rient fait ! disait-il.

Et son air de franchise faisait écarter de son chemin ceux qui s’apprétaient à lui barrer le passage.