Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/59

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Il m’écouta sans m’interrompre, puis il demanda :

— Quel âge as-tu donc Annette ?

Je m’étonnai de la question :

— Mais, oncle, j’ai seize ans passés, vous le savez bien.

Il se moqua, ouvrant de grands yeux :

— Seize ans passés ! Et voyez donc cette petite fille qui joue encore à punir ses poupées.

Je le regardai sans comprendre, car je ne voyais aucun rapport entre ses paroles et ce que je venais de lui dire.

Lui aussi me regardait ; son visage perdit son expression moqueuse, et il eut un autre ton pour demander ensuite :

— Ce grand amour que tu avais pour chacun des tiens et qui emplissait ton cœur, est-il parti sans retour ?

D’un seul coup j’aperçus le mal que la violence avait mis en moi :

« Qu’était devenue ma tendresse pour les jumeaux ? Où s’en était allée ma vive affection pour Firmin ? Et l’attachement tout fait de confiance qui me rendait si joyeuse auprès d’oncle meunier ? »

À la place de ce grand amour dont il parlait, je ne retrouvais que sécheresse et dureté.

Oncle meunier continuait à me regarder, et son regard si pénétrant et si indulgent tout à la fois fut soudain comme une douce pluie sur ma sécheresse et ma dureté. J’eus honte de ma révolte contre mon père et ma mère. J’eus plus honte encore d’avoir pensé à disperser les enfants. Je détournai les yeux pour cacher ma confusion, et la