Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/8

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moindre de ses paroles. Je comprenais pourtant, à la façon dont il appuyait sur les mots qu’il donnait des indications précises, et faisait des recommandations très importantes.

Lorsqu’il se tut, une autre voix se fit entendre. Celle-là ! je la reconnus aussitôt quoiqu’elle fût plus assourdie encore. C’était mon cher papa qui parlait, et dans ma joie de le savoir là, je fis un brusque mouvement pour me tourner vers lui, mais au même instant, je ressentis dans la hanche une douleur qui m’arracha un cri aigu et m’obligea de rester immobile.

La souffrance qui réveillait si brutalement mon corps réveillait avec la même brutalité ma mémoire. Toute la clarté de la salle sembla entrer d’un coup dans mon cerveau pour mieux éclairer l’épouvantable scène qui avait eu lieu chez nous quelques heures plus tôt. Je revis mon père les deux poings levés, et ma mère dressée en face de lui comme la plus méchante des femmes. Je revis mon frère, le doux Firmin, pâle et comme pétrifié, tendant vers eux ses mains frêles. Je revis Angèle, ma sœur, agenouillée et demandant du secours à Dieu, et j’entendis les cris terrifiés de Nicole et Nicolas, les deux jumeaux. Puis je me revis moi-même lancée entre mes parents pour les séparer, et je crus sentir de nouveau le choc qui m’avait jetée à terre ainsi que le poids énorme de deux créatures en furie que ma chute avait entraînées et qui s’étaient abattues ensemble sur moi.

De ce qui s’était passé ensuite je ne savais rien. Je me souvenais seulement des cahots du fiacre qui m’avait amenée à l’hôpital, et de la question