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MARIE-CLAIRE

que j’assistais à une chose pleine de mystère. Des hommes s’approchaient du blé et le couchaient par terre à grands coups réguliers pendant que d’autres le relevaient en gerbes qui s’appuyaient les unes contre les autres… Les cris des moissonneurs semblaient parfois venir d’en haut, et je ne pouvais m’empêcher de lever la tête pour voir passer les chars de blé dans les airs.

Le repas du soir réunissait tout le monde. Chacun se plaçait à sa guise le long de la table, et la fermière remplissait les assiettes jusqu’au bord. Les jeunes mordaient à pleines dents dans leur pain, tandis que les vieux coupaient précieusement chaque bouchée. Tous mangeaient en silence, et le pain bis paraissait plus blanc dans leurs mains noires.

À la fin du repas, les plus âgés parlaient des récoltes avec le fermier, pendant que les jeunes causaient et riaient avec Martine la grande bergère. C’était elle qui donnait le pain et versait le vin. Elle répondait en riant à toutes les plaisanteries, mais quand un garçon avançait la main vers elle, elle s’effaçait vivement et ne se laissait jamais saisir. Personne ne faisait attention à moi ; je m’asseyais sur des bûches un peu à l’écart, et je regardais les visages. Maître Sylvain avait de grands yeux noirs qui s’arrêtaient tranquillement sur chacun ; il parlait sans élever la voix, en appuyant ses mains ouvertes sur la table. La fermière avait un visage sérieux et préoccupé ; on eût dit qu’elle