Page:Audoux - Marie-Claire A Villevieille, édition Philip, 1913.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
MARIE-CLAIRE

réfléchir ; puis il me dit en mettant sa main sur mon genou :

— Écoutez-moi, ma petite, et tâchez de comprendre ce que je vais vous dire.

Et quand il eut fini de parler, je sus qu’il avait pris l’engagement de me garder jusqu’à l’âge de dix-huit ans, sans jamais m’emmener à la ville. Je sus aussi que la supérieure avait tous les droits sur moi, et que, si je me sauvais encore, elle ne manquerait pas de me faire enfermer sous prétexte que je courais les bois toute seule pendant la nuit. Il termina en disant qu’il espérait que j’oublierais le couvent, et que je me prendrais d’affection pour lui et sa femme, qui ne voulaient que mon bien.

J’étais très troublée, et je retenais une grosse envie de pleurer.

— Allons, dit le fermier, en me tendant la main, soyons bons amis, voulez-vous ?

Je lui donnai ma main, et pendant qu’il la serrait un peu fort, je répondis :

— Je veux bien.

Il fit claquer son fouet, et on eut bientôt dépassé la forêt.

La pluie tombait toujours, fine comme un brouillard, et les labours paraissaient encore plus noirs.

Dans une pièce de terre qui touchait à la route, un homme venait vers nous en faisant de grands gestes. Pendant un instant je crus qu’il me menaçait, mais quand il fut près, je vis qu’il serrait