Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 1.djvu/261

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chère famille, il feignit une maladie, si l’on peut appeler feint l’état d’un homme dont les affections avaient été si cruellement brisées, et refusa de se nourrir pendant plusieurs jours, regardé de mauvais œil par l’intendant, qui lui-même se trouvait frustré dans ce qu’il avait considéré comme un bon marché.

» Une nuit d’orage, pendant que les éléments se déchaînaient dans toute la fureur d’une véritable tourmente, le pauvre nègre s’échappa. Il connaissait parfaitement tous les marécages des environs, et se dirigea en droite ligne vers la cannaie au centre de laquelle j’avais trouvé son camp. L’une des nuits suivantes, il gagna la résidence où l’on retenait sa femme, et la nuit d’après il l’emmenait ; puis, l’un après l’autre, il réussit à dérober ses enfants, jusqu’à ce qu’enfin furent réunis sous sa protection tous les objets de son amour.

» Pourvoir aux besoins de cinq personnes n’était pas tâche facile dans ces lieux sauvages : d’autant plus qu’au premier signal de l’étonnante disparition de cette famille extraordinaire, ils se virent traqués de tous côtés, et sans relâche. La nécessité, comme on dit, fait sortir le loup du bois. Le fugitif semblait avoir bien compris ce proverbe, car pendant la nuit il s’approchait de la plantation de son premier maître, où il avait toujours été traité avec une grande bonté. Les serviteurs de la maison le connaissaient trop bien pour ne pas l’aider par tous les moyens en leur pouvoir, et chaque matin il s’en revenait à son camp avec d’amples provisions. Un jour qu’il était à la recherche de