Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 1.djvu/333

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les derniers merles se perchaient sur les arbres, et je marchais, plein d’angoisse, vers l’objet inconnu de mes alarmes non moins que de ma pitié.

Hélas ! le pauvre être qui gisait à mes pieds était si affaibli par la perte de son sang, que je n’avais rien à redouter de lui. Mon premier mouvement fut de courir chercher de l’eau, et j’en rapportai mon chapeau rempli jusqu’aux bords. Je mis la main sur son cœur, baignai sa figure et sa poitrine, et lui frottai les tempes du contenu d’une fiole que j’avais sur moi comme un préservatif contre la morsure des serpents. Ses traits sillonnés par les ravages du temps étaient faits pour inspirer la crainte et le dégoût ; mais il avait dû être un puissant homme, à en juger par sa forte charpente et ses larges épaules. Il râlait affreusement, sa respiration restant embarrassée à travers la masse de sang qui lui encombrait la gorge. — Son équipement n’indiquait que trop son métier : il portait, caché dans son sein, un énorme pistolet ; un grand couteau nu était près de lui par terre ; autour de sa tête, et sans couvrir ses gros sourcils, s’enroulait un foulard de soie rouge, et par-dessus sa culotte lâche, il avait des bottes de pêcheur… en un mot, c’était un pirate !

Mes peines ne furent pas perdues ; car à force de baigner ses tempes, je le ranimai, son pouls reprit quelque vigueur, et je commençais à espérer que peut-être il pourrait survivre aux cruelles blessures qu’il avait reçues. Des ténèbres, de profondes ténèbres nous enveloppaient ; je parlai de faire du feu. — Oh ! non, non, par grâce, s’écria-t-il. — Convaincu pourtant