Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 1.djvu/338

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sur son front, et d’une voix éteinte et saccadée il murmura : Je suis un homme mort… bonsoir.

Hélas ! il est triste de voir la mort, sous quelque forme qu’elle se présente ; mais ici c’était horrible, car ici c’était sans espoir. J’entendais le râle suprême de l’agonie, et déjà le corps retombait dans mes bras, si lourd, que je ne pouvais le supporter. Je l’étendis sur la terre ; un flot de sang noir jaillit de sa bouche ; puis ce fut un sourd et terrible gémissement, dernier soupir de cette âme coupable. Et maintenant, qu’avais-je là, gisant ainsi à mes pieds, dans le désert sauvage ? Un cadavre déchiré, une inerte masse d’argile !

Vous vous imaginez facilement quelle nuit je dus passer. À l’aurore, je creusai un trou avec la pagaie de mon canot, j’y roulai le corps, et rejetai le sable par-dessus. En retournant au bateau, j’y trouvai des busards dévorant déjà les autres cadavres que j’essayai en vain de traîner sur le rivage. Tout ce que je pus faire, ce fut de les recouvrir de boue et d’herbes ; puis, m’étant remis à flot, je m’éloignai de la baie, joyeux, au fond du cœur, d’avoir pu m’en échapper, mais l’âme encore oppressée d’un sentiment d’épouvante et d’horreur. »