Page:Augagneur, Erreurs et brutalités coloniales, Éditions Montaigne, 1927.djvu/160

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aimer leurs dominateurs. Il est bien certain qu’un changement total de ses mœurs, de ses coutumes, de son état social, ne s’impose pas à une population, à une race sans qu’elle oppose à ce régime nouveau une résistance obstinée, même dans la forme passive.

Nous avons la prétention d’apporter aux indigènes de nos colonies un progrès social et moral, en leur imposant, par la force, nos idées et nos lois. Donner à des hommes une foi religieuse, une organisation sociale, des coutumes qu’ils n’ont pas imaginées eux-mêmes, est une entreprise téméraire. À ces nouveautés les convertis, malgré eux, ne comprennent rien. Dans leur barbarie ils trouvaient des joies, des satisfactions que les civilisés leur enlèvent en les soumettant à des règles dont ils ressentent douloureusement les obligations, sans en saisir les avantages.

L’indigène ne savoure pas plus les charmes de la civilisation que le savetier de La Fontaine n’appréciait à l’usage, le bonheur du financier.

Notre erreur, dans cette œuvre de prosélytisme des civilisés, a été complète. Nous avons voulu brûler les étapes suivies par l’évolution naturelle et faire adopter en quelques années, par des hommes demeurés à l’état primitif, des idées que notre race a mis des siècles à acquérir. Nous avons, avec les meilleures intentions du monde, froissé, blessé ceux que nous voulions rendre plus heureux.

L’entreprise de civilisation aurait dû être conduite par des hommes de valeur intellectuelle et morale exceptionnelle. Civils ou militaires n’ont fourni, aux colonies comme ailleurs, que de rares spécimens de ce mérite.