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carrière de l’artiste, ils définissent sa mission qui aboutit à cette éclatante affirmation de la beauté suprême de l’art gothique, et c’est à les justifier en détail que s’appliqueront les critiques s’ils veulent préciser les nuances harmoniques de sa pensée, diverse en apparence. Nous devrons nous en tenir, ici, aux grandes lignes, aux plans principaux.

L’amour de la nature est le don par excellence, celui qui permet de voir et d’entendre, de jouir, de vivre. Il fait l’artiste, exemplairement ; généralement, on peut dire qu’il fait l’homme, car il n’y a point de vraie vie humaine hors de la participation — par la jouissance instinctive, et par l’intelligence, cette jouissance raisonnée — aux harmonies de la nature. La science ne confère pas ce don et ne le supplée point. Elle l’aide seulement à prendre conscience de lui-même et à fructifier.

Or, à l’époque où Rodin débuta, la science était perdue ; pis encore, les faux savants en avaient fait un mensonge.

Nous avons insisté déjà sur la détresse où était tombée la peinture, quand vinrent les impressionnistes ; ils réagirent, à tous risques, avec une merveilleuse bravoure, contre la tyrannie de l’École. Mais, à comparer leur situation avec celle des sculpteurs, les peintres auraient pu s’estimer privilégiés. La vraie tradition n’avait pas été aussi brutalement interrompue dans la peinture que dans la sculpture. Les grands exemples d’Ingres et de Delacroix, de Corot et de Courbet, de Rousseau, de Daubigny et de tous les excellents paysagistes de la première moitié du XIXe siècle, et de Prud’hon, et de Géricault, et de Millet, et de Daumier, furent de précieux réconforts pour les impressionnistes eux-mêmes, et pour un Puvis de Chavannes, un Gauguin, un Cézanne, un Monticelli, un Carrière. Ces maîtres ne manquèrent pas de bons conseils, qui les prémunirent contre les dogmes absurdes. — Combien les sculpteurs furent moins heureux !

Rude (1784-1855), David d’Angers (1789-1856), Carpeaux (1827-1875) et Barye (1796-1875), les seules vraies lumières que pût invoquer, vers 1860, un débutant, étaient loin d’avoir l’autorité qu’eussent dû leur conférer le génie et les œuvres. Ils font déjà groupe, aujourd’hui, pour notre regard, et leur succession si étroitement enchaînée, si harmonieuse, nous apparaît comme le plus péremptoire des enseignements. Sans qu’on puisse dire que Carpeaux vient de Rude — peut-être vient-il plutôt de Rubens, et plutôt encore de la source inconnue et intarissable d’où nous étaient déjà venus Rubens et Rude — il n’en est pas moins certain qu’à écouter Rude Carpeaux s’épargna de dangereux tâtonnements. Et derrière