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Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/122

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Il en est de l’œuvre de l’artiste, dans l’isolement où il travaille, comme de l’œuvre du savant : l’un et l’autre, après une période secrète de labeur, apportent la solution d’un problème, sans nous initier aux opérations successives, aux passages, qui les ont conduits au terme. Les gens défèrent volontiers à l’autorité du savant ; à l’artiste, ils marchandent leur confiance. C’est qu’ils croient l’affirmation du savant susceptible d’une démonstration précise, non pas celle de l’artiste ; en quoi ils se trompent. Mais c’est aussi qu’au labeur de l’artiste, non pas à celui du savant, ils sentent confusément qu’ils auraient dû, dans une certaine mesure, participer ; en quoi ils ont raison. Ils consentiraient aux entreprises les plus aventureuses, à la condition d’y collaborer, de partager les certitudes du maître d’œuvre, de grandir avec lui, avec l’œuvre, vers l’avenir.

Les conditions de la vie sociale ne permettent plus cette union de la foule avec l’homme de génie. Tandis que, poursuivant sans l’interrompre jamais, son entretien avec la nature, il acquiert sans cesse de nouvelles connaissances, la foule, étrangère à cet entretien, ne voit pas diminuer son ignorance, et rien ne la prépare à comprendre l’œuvre qui s’accomplit loin d’elle, — hélas ! pour elle.

Quand cette œuvre est de Rodin, l’antipathie que d’abord lui témoigne la foule s’explique par une autre cause encore, spéciale, et d’une plus immédiatement évidente gravité : cette œuvre condamne les complaisances du public pour les artistes menteurs qui le flattent et le dépravent, elle lui reproche son ignorance, elle le convainc d’erreur.

L’erreur : nous avons vu que le rôle de Rodin — comme, du reste, de tous les artistes sincères, mais avec un incomparable éclat — est de lutter contre elle, d’en délivrer l’art pour le ramener à ses principes certains. Ces principes sont fort anciens. Hérodote disait déjà : « Il y a longtemps que les hommes savent ce qui est beau, et c’est là qu’il faut s’instruire. » C’est que Rodin s’est instruit ; mais il a dû s’acheminer dans la poussière des ruines, car elles sont aujourd’hui les gardiennes de l’éternelle vérité. Elle a rayonné sur les débuts de toutes les civilisations, dans les grandes heures de jeunesse et d’espérance : à peine de périr, il faut que les civilisations vieillies recherchent la vérité et retrouvent l’espérance dans la résurrection de leur jeunesse, dans leur passé : « C’est là qu’il faut s’instruire… » — Mais cette nécessité d’un recommencement les trouble dans leur paresse et dans leur vanité.

Au cours des besognes anonymes dont nous avons parlé plus haut, pour