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série de bas-reliefs consacrés à saint Denys, toute la légende de Dionysos ? Même si les auteurs de ces bas-reliefs n’ont pas songé à cette légende, même s’ils l’ignoraient, la survivance, très sensible à travers tout le moyen âge, de certaines fables de l’antiquité, a pu créer dans l’esprit de ces artistes une certaine confusion et les induire à prêter au saint les traits du dieu, inconsciemment. Aujourd’hui, comme dans les palimpsestes, nous retrouvons sous l’écriture la plus récente les caractères essentiels de la plus ancienne. De telles rencontres ne furent peut-être pas aussi rares qu’on le pense et ne nous semblent pas, du moins, aussi invraisemblables. Il y eut, au moyen âge, de fréquentes crises de paganisme[1].

Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, et dût-on persister à les traiter de folies, il y a sûrement dans ces folies plus de sagesse que dans les dénis de justice dont se rendirent coupables la plupart de nos plus graves et de nos plus grands écrivains « classiques » au sujet de l’art gothique. — Leurs erreurs ont été relevées déjà ; nous ne pouvons éviter, ici, de les rappeler à notre tour, sommairement. Bien long serait le procès, si l’on se proposait de n’oublier personne de notable, qu’il faudrait faire de ce chef à la pédagogie issue de la Renaissance.

Pour tous les honnêtes gens du XVIIe siècle français, gothique est synonyme de grossier. C’est dans leur pensée, comme originellement dans celle des Italiens, une injure, et Molière comme Boileau, La Bruyère comme Racine, en pensent accabler les hommes et les œuvres qu’ils jugent incorrects et de basse qualité.

Ce mépris va croissant avec les années. Au XVIIIe siècle il s’exaspère jusqu’au dégoût.

« Avant le siècle que j’appelle de Louis XIV, » écrit Voltaire, « et qui commence à peu près à l’établissement de l’académie française, les Italiens appelaient tous les ultramontains du nom de barbares : il faut avouer que les Français méritaient en quelque sorte cette injure. Leurs pères joignaient la galanterie romanesque des Maures à la grossièreté gothique ; ils n’avaient presque aucun des arts aimables. Louis XIII, à son avènement à la couronne, n’avait pas un vaisseau. Paris ne contenait pas quatre cent mille hommes et n’était pas décoré de quatre beaux édifices ; les autres villes du royaume ressemblaient à ces bourgs

  1. Un grand écrivain anglais, Walter Pater, a repris cette thèse de l’identité morale de Dionysos et de saint Denys ; bien que son œuvre — littérairement un chef-d’œuvre — n’ait pas de prétention à la démonstration scientifique, elle ne laisse pas de troubler profondément, en jetant d’étranges clartés sur des analogies jusqu’à lui mal perçues (Portraits imaginaires : Denys l’Auxerrois).