Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/34

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mité de l’aberration où s’entêtait l’esprit académique il n’y a guère que soixante ans, et l’importance des progrès accomplis depuis.

Vitet n’a pas beaucoup de mal à démontrer que l’architecture gothique, ne manquant d’aucune de ces « trois choses », est bien vraiment une architecture. Mais il ne désarme ni ne persuade son contradicteur : « Héritière de tous les abus, de tous les mélanges dont les siècles de barbarie furent témoins », écrit pompeusement Quatremère de Quincy, « l’architecture gothique ne fait qu’achever l’œuvre de destruction, avec un surcroît de désordre et d’insignifiance. »

Hélas ! ce même Vitet, qui eut l’honneur de comprendre, l’un des premiers, et de défendre non sans éloquence la beauté de l’art gothique, fait à son tour preuve de parti pris ou d’aveuglement quand il parle de l’architecture romane. Est-il possible, pourtant, d’accepter les conclusions si l’on rejette les prémisses ? d’admirer l’ogive si l’on méprise le plein cintre ? Vitet estime que, pendant la période du style à plein cintre, « l’art de construire devint un métier plutôt qu’un système : mélange confus et barbare de méthodes antiques mal comprises, de traditions à demi perdues et de maladroites innovations, il mérite bien alors qu’on le prenne en pitié. » — Ne croirait-on pas que l’avocat du moyen âge vient d’entrer à l’école de son adversaire ? Ils parlent à peu près la même langue tous les deux.

Mais ce n’est pas seulement par des écrivains de second ordre, comme ceux-ci, que l’art médiéval fut — jusqu’à la fin, bien peu s’en faut, du XIXe siècle — ou radicalement nié ou incomplètement compris. Même des penseurs, étrangers par leurs doctrines ou réfractaires par leur tempérament à la pédagogie classique, en subissent inconsciemment l’autorité. Après Michelet, qui voyait seulement, dans l’architecture et la sculpture des Cathédrales, l’expression des craintes et des douleurs d’époques tourmentées. Taine, chez qui la sincérité est si souvent compromise par la préoccupation de justifier à tout prix ses théories, refuse à l’art gothique la force, la grandeur, la sérénité, et entreprend de le diminuer, misérablement : « L’intérieur de l’édifice reste noyé dans une ombre lugubre et froide… Parure de femme nerveuse et surexcitée, et dont la poésie, délicate, mais malsaine, indique par son excès les sentiments étranges, l’inspiration troublée, l’aspiration violente et impuissante propres à un âge de moines et de chevaliers[1]. »

  1. Philosophie de l’Art.