Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/391

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À qui fera-t-on croire que nous sommes en progrès ? Il y a des époques où le goût règne, et il y a… le temps présent.

Pour ce qui est d’un goût général, d’une belle vulgarisation du pur instinct, je crains que ce ne soit un attribut de la jeunesse des races. Avec l’âge, leur sensibilité s’émousse, l’intelligence fléchit. Comment expliquer autrement que par un affaiblissement de l’intelligence le cas de ces prétendus artistes — architectes, sculpteurs, verriers — qui font ces restaurations alors qu’ils ont sous les yeux les merveilles dont les Cathédrales sont pleines ? Leurs vitraux sont en linoléum : des vitraux-tapis, sans profondeur.

Les belles choses voisines coûtèrent moins de mal aux bons compagnons d’il y a six cents ans. Voyez ce bouquet de fleurs, de qualité si française !

Oh ! je vous en supplie, au nom de nos ancêtres et dans l’intérêt de nos enfants, ne cassez et ne restaurez plus ! Passants, qui êtes indifférents, mais qui comprendrez et vous passionnerez peut-être un jour, ne vous privez pas d’avance, à jamais, de l’occasion de joie, de l’élément de développement qui vous attendait dans ce chef-d’œuvre ; n’en privez pas vos enfants ! Songez que des générations d’artistes, des siècles d’amour et de pensée aboutissent là, s’expriment là, que ces pierres signifient toute l’âme de notre nation, que vous ne saurez rien de cette âme si vous détruisez ces pierres, qu’elle sera morte, tuée par vous, et que vous aurez du même coup dilapidé la fortune de la patrie, — car les voilà, les vraies pierres précieuses !

Je ne serai pas écouté, je le sais trop. On continuera à casser et on continuera à réparer. Rien n’interrompra-t-il cet abominable dialogue où l’hypocrisie donne la réplique à la violence, celle-là achevant de détruire le chef d’œuvre mutilé par celle-ci, tout en protestant qu’elle va le remplacer par une copie, une répétition exacte ? On ne remplace rien, entendez-vous ? on ne répare rien ! Les modernes ne sont pas plus capables de donner un double à la moindre merveille gothique qu’à celles de la nature. Encore quelques années de ce traitement du passé malade par le présent meurtrier, et notre deuil sera complet et irrémédiable.

Ne voit-on pas assez, par nos créations aussi bien que par nos restau-