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À l’endroit où la tige se noue et renvoie ses digitations en membranes, la feuille embrasse la tige, puis, assurée d’un point d’appui solide, se rejette en arrière.


Les pignons ont toujours la forme des sommets de plantes.


Tulipes.

Elles se jettent, elles s’étendent comme des courtisanes heureuses ; elles montrent leur cœur dans un mouvement libre, qui n’est peut-être pas chaste, qui est sûrement adorable.

Celle-ci, tombée, la « gueule » large ouverte, est évanouie.

Cette autre pend en fil à plomb. Ses tressaillements de détresse, que je vois en dépit de son immobilité, marquent la folie de la fleur ; la vieillesse.

Le plus riche des trois rois Mages et la Reine de Saba n’étaient pas plus somptueusement vêtus que cette tulipe or et rouge mélangés.

Celle-ci, or et rouge aussi dans une autre disposition, est-ce l’oiseau des îles ? N’est-ce pas plutôt l’aile de l’archange Gabriel ?


Et dans presque toutes je crois retrouver le geste d’une Sapho, le geste qui provoque et qui donne. Il persiste jusque dans celles qui sont évanouies, qui pendent, la tête en avant. — On dirait aussi des bulles colorées, restées dans l’air.


En voici d’effrayantes : ces tulipes rouges de sang strié d’or, comme de la chair vivante écorchée, en plein soleil ; celles-là, qui imposent la sensation de viandes pas fraîches, par places. Ces lanières si finement dentelées, tout à l’heure si belles, sont maintenant des fibrines pourries. Plus de jaune doré dans le cœur. Une horrible blessure, du sang coagulé, un morceau de charogne ; ce rouge d’une maladie qui brûle, ce mucus qui suinte… Lamentable fleur qui fait peur ! Et pourtant elle n’est pas morte, elle subit la transformation nécessaire à la fécondation. — Est-ce l’image de notre mort ?

Dans certaines tulipes il y a tout un coucher de soleil, merveilleux.

Entre leurs pétales on distingue un crucifix sanglant.