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l’architecture romane ; ces trois arts ne sont guère moins caractéristiques de l’édifice que les lois mêmes de sa construction.

Nous devrons donc insister, au point de vue plastique, sur la composition quatripartite de la symphonie romane pour en suggérer l’unité vivante.

C’est le sort de tout ce qui vit de tendre à se dépasser. La basilique cherchait la Cathédrale romane et celle-ci cherchera la Cathédrale gothique[1]. Sans doute, celle-ci réunira des conditions de solidité que le roman ne possédait pas encore, et il faut convenir qu’en matière d’architecture la solidité est une vertu primordiale. Mais, à tous les autres points de vue, malgré notre admiration profonde pour le style gothique, nous ne saurions convenir qu’il passe en beauté le style roman.

Peut-être, des deux, est-ce en lui qu’on trouve le plus de réelle grandeur. La Cathédrale gothique a plus d’essor ; mais la Cathédrale romane a plus de majesté. On sent qu’elle est pleine du Dieu qui l’habite. N’est-elle pas le corps même de ce Dieu, dont elle détient l’âme dans son chœur ? L’autre, comme si elle oubliait qu’elle est un reliquaire, cherche Dieu dans le ciel, éperdument.

Peut-être des deux est-ce la Cathédrale romane qui correspond avec le plus d’exactitude à l’essence de la pensée chrétienne.

Plus encore qu’en sa voûte et son plein cintre elle consiste en ceci, qu’elle est une crypte, une Confessio en plein air, aux proportions géantes, ou plutôt un vaste tombeau.

« À Jérusalem, au Saint-Sépulcre, les Croisés trouvèrent une rotonde bâtie sous Constantin et très restaurée de 1010 à 1048[2]. »

On ne prétend pas dire que nos églises romanes furent construites à l’imitation du Saint-Sépulcre. Mais est-il par trop téméraire d’avancer que la même pensée est sensible au Saint-Sépulcre et dans nos églises romanes ? Le christianisme est le culte d’un Dieu mort pour le salut des hommes, et la perpétuelle action rédemptrice de ce Dieu s’exerce grâce à sa « présence réelle » dans toute hostie consacrée. Toute église est donc le Saint-Sépulcre. — L’église romane affirme plus nettement que l’église gothique cette signification. Ses proportions écrasées, ses trois nefs sombres conviennent aux rites d’une religion de la douleur ; elles rappellent à tout chrétien qu’au prix d’une constante participation volontaire à

  1. Roman, gothique, on sait que ces deux termes ne sont pleinement justes ni l’un ni l’autre ; mais il y a pour les défendre un argument irréfutable, c’est qu’ils sont l’un et l’autre consacrés.
  2. André Michel, op. laud.