Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

du XVIIIe siècle : folie qu’on nous a longtemps attribuée et qui est un produit de la décadence italienne[1].

L’aberration est donc complète. C’est tout un peuple qui renie son grand passé et la plus précieuse de ses gloires. Les générations nouvelles ne se contentent pas de méconnaître l’œuvre des générations anciennes, de lui donner par leurs propres œuvres un démenti catégorique, elles voudraient l’effacer, la détruire et qu’elle n’ait pas été.

Mais il est, en psychologie générale et en histoire, un phénomène plus mystérieux encore que l’oubli collectif : c’est le phénomène de la réminiscence collective.

Courajod ne se trompe pas en parlant, a ce sujet, de « révélation quasi surnaturelle ». Quand, en effet, l’erreur a pris les dehors de l’érudition et s’est imposée durant des années très longues à tous les esprits, dès leur éveil, par l’éducation, comment peut-il se rencontrer tout à coup quelqu’un pour oser dire la vérité ? Par quelle grâce spéciale a-t-il été dirigé, soutenu dans sa découverte, épargné de la contagion universelle ?

Toutefois, dans l’enchaînement si subtil des choses de la vie intellectuelle, de la vie scientifique et artistique, se produit-il jamais un événement qui porte authentiquement le caractère de la soudaineté, du tout à coup ? Entre les hommes qui eurent assez de courage et de discernement pour remonter le courant de la fausse doctrine, pour détourner l’opinion des directions où de vieilles habitudes l’entraînaient et pour la ramener dans la bonne voie, — qui primus ? Les commencements de ces grandes aventures sont divers et obscurs. C’est à Vitet que Courajod attribue l’honneur de l’initiative. Nous avons insisté sur les mérites de Vitet, on ne nous soupçonnera pas de vouloir les diminuer ; mais avant lui d’autres savants avaient eu le pressentiment qu’il a formulé, et ces savants eux-mêmes avaient été, dès le XVIe siècle, précédés par des artistes.

« Déjà Philibert de l’Orme recommandait aux architectes de la Renaissance de ne pas négliger l’étude des chefs-d’œuvre des anciens maîtres français, et les maçons ont continué jusqu’à nos jours leur pèlerinage à la célèbre vis de Saint-Gilles[2]. » De 1576 à 1579, Jacques Androuet du Cerceau faisait figurer un grand nombre de palais et de châteaux du moyen âge français « dans son précieux

  1. Beyle a, le premier, dénoncé le véritable inventeur de ce « style » : c’est le Bernin, à qui s’adjoignent son contemporain Francesco Borromini et, au XVIIe siècle, Guarino-Guarini.
  2. Enlart, Manuel d’Archéologie française.