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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

autre psaume : « Si j’ai faim, je ne vous le dirai pas ; car tout l’univers est à moi, avec tout ce qu’il enferme. Mangerai-je la chair des taureaux, ou boirai-je le sang des boucs[1] ? » Comme si Dieu disait : Quand j’aurais besoin de ces choses, je ne vous les demanderais pas, car elles sont on ma puissance. Le Psalmiste, pour expliquer le sens de ces paroles, ajoute : « Immolez à Dieu un sacrifice de louanges, et offrez vos vœux au Très-Haut. Invoquez-moi au jour de la tribulation ; je vous délivrerai et je vous glorifierai[2] ». — « Qu’offrirai-je », dit un autre prophète, « qu’offrirai-je au Seigneur qui soit digne de lui ? fléchirai-je le genou devant le Très-Haut ? lui offrirai-je pour holocaustes des veaux d’un an ? peut-il être apaisé par le sacrifice de mille béliers ou de mille boucs engraissés ? lui sacrifierai-je mon premier-né pour mon impiété et le fruit de mes entrailles pour le péché de mon âme ? Je t’apprendrai, ô homme ! ce que tu dois faire et ce que Dieu demande de toi : pratique la justice, aime la miséricorde, et sois toujours prêt à marcher devant le Seigneur ton Dieu[3] ». Ces paroles font assez voir que Dieu ne demande pas les sacrifices charnels pour eux-mêmes, mais comme figure des sacrifices véritables. Il est dit aussi dans l’épître aux Hébreux : « N’oubliez pas d’exercer la charité et de faire part de votre bien aux pauvres ; car c’est par de tels sacrifices qu’on est agréable à Dieu[4] ». Ainsi, quand il est écrit : « J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice[5] », il ne faut entendre autre chose sinon qu’un sacrifice est préféré à l’autre, attendu que ce qu’on appelle vulgairement sacrifice n’est que le signe du sacrifice véritable. Or, la miséricorde est le sacrifice véritable ; ce qui a fait dire à l’Apôtre : « C’est par de tels sacrifices qu’on se rend agréable à Dieu ». Donc toutes les prescriptions divines touchant les sacrifices du temple ou du tabernacle se rapportent à l’amour de Dieu et du prochain ; car, ainsi qu’il est écrit : « Ces deux commandements renferment la loi et les Prophètes[6] ».

CHAPITRE VI.
DU VRAI ET PARFAIT SACRIFICE.

Ainsi le vrai sacrifice, c’est toute œuvre accomplie pour s’unir à Dieu d’une sainte union, c’est-à-dire toute œuvre qui se rapporte à cette fin suprême et unique où est le bonheur. C’est pourquoi la miséricorde même envers le prochain n’est pas un sacrifice, si on ne l’exerce en vue de Dieu. Le sacrifice en effet, bien qu’offert par l’homme, est chose divine, comme l’indique le mot lui-même, qui signifie action sacrée. Aussi l’homme même consacré et voué à Dieu est un sacrifice, en tant qu’il meurt au monde pour vivre en Dieu ; car cette consécration fait partie de la miséricorde que chacun exerce envers soi-même, et c’est pour cela qu’il est écrit : « Aie pitié de son âme en te rendant agréable à Dieu[7] ». Notre corps est pareillement un sacrifice, quand nous le mortifions par la tempérance, si nous agissons de la sorte pour plaire à Dieu, comme nous y sommes tenus, et que loin de prêter nos membres au péché pour lui servir d’instrument d’iniquité[8], nous les consacrions à Dieu pour en faire des instruments de justice. C’est à quoi l’Apôtre nous exhorte en nous disant : « Je vous conjure, mes frères, par la miséricorde de Dieu, de lui offrir vos corps comme une victime vivante, sainte et agréable à ses yeux, et de lui rendre un culte raisonnable et spirituel[9] ». Or, si le corps, dont l’âme se sert comme d’un serviteur et d’un instrument, est un sacrifice, quand l’âme rapporte à Dieu le service qu’elle en tire, à combien plus forte raison l’âme elle-même est-elle un sacrifice, quand elle s’offre à Dieu, afin qu’embrasée du feu de son amour, elle se dépouille de toute concupiscence du siècle et soit comme renouvelée par sa soumission à cet être immuable qui aime en elle les grâces qu’elle a reçues de sa souveraine beauté ? C’est ce que le même apôtre insinue en disant : « Ne vous conformez point au siècle présent ; mais transformez-vous par le renouvellement de l’esprit, afin que vous connaissiez ce que Dieu demande de vous, c’est-à-dire ce qui est bon, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait[10] ». Puis donc que les œuvres de miséricorde rapportées à Dieu sont de vrais sa-

  1. Ps. xlix, 12, 13.
  2. Ibid. 14 et 15.
  3. Mich. vi, 6, 7 et 8.
  4. Hébr. xiii, 16.
  5. Osée, vi, 6.
  6. Matt. xxii, 40.
  7. Eccli. xxx, 24.
  8. Rom. vi, 13.
  9. Rom. xii, 1.
  10. Rom. xii, 2.