Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/192

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trompeuse. Ils voulurent être forts, nos pères qui croyaient devenir des dieux en touchant au fruit défendu. Adam était devenu fort, quand Dieu disait avec ironie : « Voilà qu’Adam est devenu comme l’un de nous[1]. » Ils étaient forts ces Juifs qui présumaient de leur propre justice. « Sans connaître la justice de Dieu, et dans leur désir d’établir leur propre justice, les voilà comme des forts, rebelles à la justice de Dieu[2] ». Voyez au contraire cet homme qui a dissipé sa force, et qui demeure faible, pauvre, se tenant debout et éloigné, sans oser lever les yeux au ciel, mais qui frappe sa poitrine, et qui dit : « Seigneur, ayez pitié de moi, qui suis un pécheur[3] ». Il est faible, et a conscience de sa faiblesse, ce n’est point un fort : c’est une terre sèche ; qu’elle reçoive l’eau des fontaines et des torrents. Quiconque présume de sa vertu est encore dans sa force. Que leurs fleuves soient desséchés, qu’elles tarissent toutes ces doctrines des païens, des aruspices, des astrologues, des magiciens, puisque Dieu a desséché les eaux du fort : « C’est vous qui avez tari les fleuves d’Etham ». Mort à ces doctrines, et que les âmes soient trempées de l’Évangile de vérité !
19. « A vous le jour, et à vous la nuit[4] ». Qui peut l’ignorer, puisque Dieu en est l’auteur, et que tout a été fait par son Verbe[5] ? C’est donc à Celui qui « a opéré le salut au milieu de la terre », qu’il est dit : « A vous le jour, et à vous la nuit ». Il nous faut donc comprendre ce qui regarde ici ce salut qu’il a opéré au milieu de la terre. « A vous le jour ». Qui est ici désigné ? Les hommes spirituels. « Et à vous la nuit ». Et ceux-là ? Les hommes charnels. « A vous le jour, et à vous la nuit ». Que l’homme spirituel tienne à l’homme spirituel un langage spirituel ; car il est dit : « Nous tenons aux parfaits le langage de la sagesse, en communiquant les choses spirituelles à ceux qui sont spirituels[6] ». Mais cette sagesse est au-dessus de l’homme charnel : « Car », dit le même Apôtre, « je n’ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais seulement comme à des hommes charnels[7] ». Donc l’homme spirituel, s’adressant à l’homme spirituel, c’est « le jour qui parle au jour ». Mais l’homme charnel qui ne tait point sa foi en Jésus crucifié, telle que peuvent l’avoir les petits, c’est « la nuit qui donne la science à la nuit[8]. À vous le jour, et à vous la nuit ». À vous appartiennent et les hommes spirituels et les hommes charnels ; vous éclairez les uns au flambeau de la sagesse et de l’invariable vérité, vous consolez les autres par la manifestation de votre humanité, comme la lune qui vient consoler la nuit. « A vous le jour, et à vous la nuit ». Veux-tu connaître le jour ? Vois, si tu le peux, élève ton esprit autant que tu en es capable. Voyons si tu appartiens au jour, voyons si tu en pourras soutenir la vue. Peux-tu contempler ce que tu viens d’entendre dans l’Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et, le Verbe était Dieu[9] ? » Car ta pensée ne peut embrasser d’autres paroles que celles qui passent à mesure qu’elles résonnent. Peux-tu comprendre le Verbe, non plus un son, mais Dieu ? Ne comprends-tu pas ce qui est dit ici : « Que le Verbe était Dieu ? » Te voilà donc méditant de telles paroles. « Tout a été fait par lui », et il a même fait ceux qui parlent de la sorte. Qu’est-ce donc que ce Verbe ? Le comprends-tu, homme charnel ? Réponds-moi, comprends-tu ? Non, tu ne comprends point, tu appartiens à la nuit : tu as besoin de la lune pour ne point mourir dans les ténèbres. « Car voilà que les pécheurs ont bandé leur arc pour percer dans l’obscurité de la lune ceux qui ont le cœur droit[10] ». La chair du Christ fut obscurcie, quand on la descendit de la croix, pour la placer dans le tombeau : et ceux qui l’avaient mis à mort, lui insultait ; il n’était pas ressuscité encore, les disciples au cœur droit étaient percés de flèches, mais seulement dans l’obscurcissement de la lune. Donc, afin que le jour parle au jour, et que la nuit enseigne à la nuit, puisque « le jour est à vous, comme la nuit est à vous » ; daignez descendre, ô mon Dieu, et en même temps demeurer en votre Père ; descendez et venez à ceux pour qui vous descendez. Daignez descendre, ô vous qui étiez en ce monde, vous, par qui le monde a été fait, vous que le monde n’a point connu. Que la nuit ait sa consolation ; qu’elle ait « le Verbe qui s’est fait chair et qui a demeuré parmi nous[11]. « A vous le jour, et à vous la nuit. C’est vous qui avez fait le soleil et la lune » : le soleil

  1. Gen. 3,22
  2. Rom. 10,3
  3. Lc. 18,13
  4. Psa. 73,16
  5. Jn. 1,3
  6. 1Co. 2,6
  7. Id. 3,1
  8. Ps. 18,3
  9. Jn. 1,1
  10. Ps. 10,3
  11. Jn. 1,14