Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/238

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dans les châtiments du peuple ? Car je ne vois point pour quel autre motif Dieu aurait laissé emmener en captivité les saints et les pécheurs : aussi lisons-nous dans les manuscrits grecs, non plus ἐνεπμόδισεν, ou « il empêcha », mais συεπμόδισεν, qui se traduit mieux par « il lia ensemble ».

19. Mais « cette génération rebelle et indocile ne laissa pas de pécher encore et ne crut point aux merveilles du Seigneur. Et leurs jours se consumèrent dans la vanité[1] ». Ils pouvaient, s’ils eussent cru en Dieu, passer leurs jours dans la vérité, dans l’immobilité de celui à qui le Prophète dit : « Vos années ne passeront point[2] ». Donc « leurs jours s’écoulèrent dans la vanité, et leurs années dans la précipitation ». Car la vie des hommes passe bien vite, et celle qui nous paraît la plus longue, n’est qu’une vapeur de quelques instants.

20. Toutefois « dès qu’il les frappait, ils le recherchaient », non par amour de la vie éternelle, mais par crainte de perdre une vie qui n’est qu’une fumée. Ce n’était donc point ceux qui mouraient, qui cherchaient Dieu, mais ceux qui craignaient de mourir comme eux ; et si l’Écriture s’exprime comme si ceux qui mouraient eussent cherché Dieu, c’est qu’ils ne formaient tous qu’un peuple, et que le Prophète en parle comme d’un même corps. « Et ils retournaient à lui, et se hâtaient de revenir à Dieu. Ils se souvenaient que Dieu était leur refuge, que le Très-Haut était leur Sauveur[3] ». Mais tout cela n’était que pour obtenir des biens de la terre, éviter les maux de cette vie. Chercher Dieu en vue des biens temporels, ce n’est point aspirer à Dieu, mais à ces biens ; ce n’est point une crainte servile, mais un libre amour, qui honore le Seigneur. Ainsi donc ce n’est point Dieu que l’on sert, mais on sert ce que l’on aime. De là vient que Dieu, qui est supérieur à tout, meilleur que tout, est plus que tout digne de notre amour et de notre culte.

21. Voyons encore la suite : « Ils l’aimaient du bout des lèvres », dit le Prophète, « mais leur langue mentait au Seigneur. Leur cœur n’était pas droit devant lui, ils n’étaient point fidèles à son alliance[4] ». Mais Dieu, qui pénètre les secrets des hommes, et qui découvrait sans peine leur préférence, voyait que le langage du cœur n’était point d’accord avec celui des lèvres. Un cœur est droit devant Dieu quand il cherche Dieu pour Dieu. Il ne veut obtenir de Dieu qu’une seule faveur, qu’il réclamera toujours, c’est d’habiter dans la maison du Seigneur, et de contempler ses délices[5]. C’est à lui que le cœur des fidèles a dit : Je serai rassasié, non plus des viandes de l’Égypte, ni de ses melons, ni de ses concombres, ni de l’ail, ni de l’oignon, que cette génération indocile et rebelle préférait au pain du ciel[6], ni même de la manne visible, ou de la chair des oiseaux, mais je serai rassasié quand votre gloire m’apparaîtra[7]. Tel est l’héritage du Nouveau Testament auquel ce peuple ne fut point fidèle. La foi en cette alliance, bien que voilée alors, était chez les élus ; aujourd’hui qu’elle est révélée, elle n’est que chez bien peu d’appelés. « Beaucoup en effet sont appelés, mais peu sont élus[8] ». Telle était donc cette race corrompue et rebelle : même en paraissant chercher Dieu, elle ne l’aimait que des lèvres et sa langue était menteuse ; elle n’avait point pour Dieu la droiture du cœur, et lui préférait les faveurs qu’elle attendait de lui.

22. « Mais lui, plein de miséricorde, leur pardonnera leurs offenses, et ne les perdra point : sans cesse il retient sa colère, et ne laisse point s’allumer sa fureur. Il se souvient qu’ils ne sont que chair, un esprit qui s’en va pour ne plus revenir[9] ». Plusieurs, en lisant ces paroles, comptent sur la bonté de Dieu pour l’impunité de leurs crimes, même lorsqu’ils y demeurent, comme cette génération, que le Prophète appelle « indocile et rebelle, dont le cœur n’était pas droit, et dont l’esprit ne croyait point en Dieu » : avec laquelle toute ressemblance est funeste. Si. Dieu, en effet, pour parler leur langage, ne perd point les méchants, il est certain qu’il ne perdra point non plus les bons. Pourquoi ne pas choisir de préférence ce qui est hors de doute ? Ceux dont la langue est menteuse, et dont le cœur tient un autre langage, pensent que Dieu est menteur, désirent même qu’il le soit, quand il menace de châtiments éternels ces prévaricateurs. Mais ni eux ne peuvent tromper Dieu par leurs « mensonges, ni Dieu nous tromper par sa vérité. Que cette génération dépravée ne détériore

  1. Psa. 77,32-33
  2. Id. 101,28
  3. Id. 77, 34-35
  4. Id. 36,37
  5. Psa. 26,4
  6. Exo. 16,3
  7. Psa. 16,15
  8. Mat. 20,16
  9. Psa. 77,38-39