Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/255

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que Dieu châtie son ennemi. Si donc l’homme juste et le méchant demandent également à Dieu d’être vengés de leurs ennemis, en quoi diffèrent-ils, sinon en ce que le juste désire l’amendement plutôt que le châtiment de son ennemi ? Et quand il voit que Dieu en tire vengeance, il met sa joie, non dans la peine qu’il endure, car il ne le hait point, mais dans la justice divine, parce qu’il aime Dieu. Et si Dieu exerce sa vengeance dès ce monde, il s’en réjouit, ou pour son ennemi, s’il se corrige, ou pour les autres, s’ils craignent de l’imiter. Lui-même en devient meilleur, non pas en repaissant sa haine du supplice d’un ennemi, mais en se corrigeant de ses fautes. C’est donc par bonté, et non par malice, que le juste se réjouit à la vue des vengeances divines, et qu’il lave ses mains, ou plutôt qu’il purifie ses œuvres dans le sang, c’est-à-dire dans la perte des pécheurs, et qu’il tire de là, non une joie criminelle du mal des autres, mais un exemple des divins avertissements. S’il s’agit de cette vengeance que Dieu se réserve pour l’autre vie à son dernier jugement, le juste trouve sa joie dans cette volonté de Dieu qui ne donne point le bonheur au méchant, ni à l’impie la récompense des justes ; ce serait un acte injuste et contraire aux lois de la vérité qui fait les délices du juste. Aussi quand le Sauveur nous exhorte à l’amour de nos, ennemis, il nous propose l’exemple de notre Père céleste, « qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes[1] » : et néanmoins n’a-t-il pas pour eux des châtiments temporels, et à la fin l’enfer pour les endurcis obstinés ? Il faut donc aimer le prochain sans haïr la justice de Dieu qui le punit, et aimer cette justice qui le châtie de manière à n’aimer point le châtiment, mais l’équité du juge. Un esprit haineux au contraire, s’afflige de voir son ennemi se convertir et échapper à la peine, et quand il le voit châtié, il se réjouit de se voir vengé, non qu’il aime la justice de Dieu, mais bien le malheur de son ennemi, et s’il abandonne sa cause à Dieu, c’est qu’il souhaite que Dieu châtie cet ennemi, plus que lui-même ne le pourrait faire : et quand il donne à manger à son ennemi qui a faim, à boire à celui qui a soif, il savoure méchamment cette parole : « En agissant ainsi, vous amassez sur sa tête des charbons de feu[2] ». Il prétend aggraver ainsi la faute de son ennemi, appeler sur sa tête cette indignation de Dieu figurée, croit-il, par des charbons ardents ; il ne comprend pas que ce feu est la douleur de la pénitence, qui brûle le cœur jusqu’à ce que le coupable, devant ces bienfaits d’un ennemi, baisse enfin par l’humilité une tête qu’élevait l’orgueil, en sorte que le bien rie l’un ait vaincu le mal de l’autre. Aussi l’Apôtre a-t-il eu soin d’ajouter : « Ne vous laissez pas vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien[3] ». Comment vaincre le mal par le bien, quand on n’est bon qu’en apparence, et mauvais au fond de l’âme ; quand sans nuire en actions, on nuit en désirs ; que la main est innocente, et la volonté sanguinaire ? C’est donc ainsi que notre psaume prédit les châtiments des impies, en termes de désirs, en sorte qu’il nous faut comprendre que le serviteur de Dieu aime ses ennemis, ne souhaite à personne que le bien, c’est-à-dire la piété en cette vie, l’heureuse éternité en l’autre vie ; que dans les châtiments des méchants, il se réjouit, non des maux qu’ils souffrent, mais des justes jugements de Dieu ; et dans tous les endroits de l’Écriture, où nous lisons leur haine contre les hommes, cette haine s’applique à leurs vices, que chacun devrait détester en soi-même, s’il s’aimait véritablement.
15. Quant à ces paroles : « Que les cris des enchaînés s’élèvent jusqu’à vous », ou comme on lit dans d’autres exemplaires, « jusqu’en votre présence[4] » ; nous ne voyons guère dans les saintes Écritures, que les saints aient été jetés dans les entraves par leurs persécuteurs ; et si cela est arrivé dans les tourments, si grands et si variés qu’ils ont endurés, cela est arrivé si rarement qu’il n’est pas croyable que le Prophète ait voulu choisir ce supplice pour s’y arrêter. Mais ces chaînes sont bien l’infirmité, la corruption des corps qui appesantissent l’âme. Car le persécuteur profitait de cette faiblesse, comme d’une douleur et d’une peine, pour perdre l’âme en la poussant à l’impiété. Voilà les chaînes dont l’Apôtre voulait être délivré pour être avec le Christ ; mais il lui fallait prolonger son séjour en cette vie, à cause des fidèles qu’il formait à l’Évangile[5]. Jusqu’à ce qu’enfin ce corps corruptible ait revêtu l’incorruptibilité, et

  1. Mt. 5,45
  2. Rom. 12,20
  3. Rom. 12,21
  4. Ps. 78,11
  5. Phil. 1,23