Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/286

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et j’ai invoqué le nom du Seigneur[1] ». Le Prophète ne dit point : « J’ai rencontré la tribulation », sans avoir éprouvé quelque malheur secret. Car il est en cette vie une certaine tribulation qui atteint ceux qui se croient heureux, alors qu’ils sont loin de Dieu. « Tant que nous sommes en ce corps, nous habitons hors du Seigneur[2] », dit saint Paul. Tu serais malheureux d’être séparé de ton père, et il n’est qu’un homme ; et loin de Dieu tu peux être heureux ? Il en est donc qui se croient heureux ici-bas. Mais ceux qui comprennent que, même au sein des voluptés et des richesses, quelque grandes qu’elles soient, bien que tout réponde à nos désirs, bien qu’on ne rencontre rien de fâcheux, qu’on n’ait rien d’affligeant à redouter, on n’en est pas moins dans la misère, dès qu’on est loin de Dieu, ont l’œil assez clairvoyant pour découvrir la douleur et la tribulation, et pour en appeler au nom du Seigneur. Tel est celui qui chante dans notre psaume. Quel est-il ? C’est le corps du Christ. Quel est cet homme ? Vous, si vous le voulez ; nous tous, si nous le voulons ; nous, les fils de Coré, qui ne formons qu’un seul homme, puisqu’il n’y a qu’un seul corps du Christ. Comment ne serait-il point un seul homme, celui qui n’a qu’une seule tête ? Or, Jésus-Christ est notre chef à tous, et nous formons tons le corps de ce chef divin ; et tous en cette vie nous sommes sous les pressoirs. Oui, nous y sommes, à juger sainement des choses. Donc sous le pressoir de la tentation, élevons nos voix avec le Prophète, portons nos désirs jusqu’au ciel. « Que vos tabernacles sont aimables, Seigneur Dieu des armées[3]. » Le Psalmiste était alors dans un certain tabernacle, ou sous le pressoir, mais il soupirait après ces autres tabernacles, d’où toute pression est bannie. Des tabernacles de la terre, il soupirait après ceux du ciel, et voulait en quelque sorte y arriver par le canal de ses désirs.
6. Que dit ensuite le Prophète ? « Mon âme aspire au parvis du Seigneur, elle a défailli de désir[4] ». C’est peu des langueurs de son âme, peu de ses défaillances ; où vient-elle à défaillir ? « Dans les parvis du Seigneur ». Le raisin disparaît quand on le presse ; mais, où a-t-il disparu ? C’est un vin qui a coulé dans la cuve, dans le repos du cellier, pour être gardé dans une paix profonde. Ici le désir, au ciel la jouissance ; ici les aspirations, au ciel la joie ; ici la prière, au ciel la louange ; ici les gémissements, au ciel l’allégresse. Que nul ne regarde mes paroles comme trop dures, que nul ne refuse de souffrir. Craignons que le raisin qui redoute le pressoir ne devienne la proie des bêtes ou des oiseaux. Une grande tristesse apparaît dans ces paroles du Prophète : « Mon âme aspire aux parvis du Seigneur, elle a défailli de désir » ; car il n’a point ce qu’il désire si vivement. Mais est-il donc sans aucune joie ? Quelle joie ? cette joie dont l’Apôtre a dit : « Réjouissons-nous dans l’espérance ». Ici-bas c’est l’espérance, dans le ciel ce sera la joie de la réalité. Mais comme ceux qui ont la joie de l’espérance sont assurés de la réalité, ils endurent dans le pressoir tous les tourments. Aussi l’Apôtre, après avoir dit : « Réjouissez-vous dans l’espérance », a-t-il ajouté aussitôt : « Soyez patients dans la tribulation » ; et après la patience dans la tribulation, que dit-il encore ? « Persévérez dans la prière[5] ». Pourquoi « persévérer ? » Parce que vous souffrez du retard. Vous priez, et Dieu tarde à vous exaucer, souffrez ces retards. Trouvons bon que Dieu diffère, car une fois que nous aurons notre récompense, nul ne nous l’ôtera.
7. Tu l’as entendu gémir sur le pressoir : « Mon âme aspire au parvis du Seigneur, elle a défailli » : vois, maintenant, cette joie de l’espérance qui le soutient : « Mon cœur et ma chair ont tressailli vers le Dieu vivant ». Ici-bas ils ont tressailli pour le ciel. D’où vient cette allégresse, sinon de l’espérance ? Pour qui tressaillir ? « Pour le Dieu vivant ». Qu’est-ce qui tressaille en vous, ô Prophète ? « Mon cœur et ma chair ». Pourquoi ce tressaillement ? c’est que « le passereau a trouvé « une demeure pour lui, comme la tourterelle « un nid, où elle placera ses petits[6] ». Qu’est-ce à dire ? Deux objets tressaillent, selon lui, et dans la comparaison il montre encore deux oiseaux ; c’est son cœur qui tressaille ainsi que sa chair, double objet qu’il nous ramène dans le passereau et dans la tourterelle ; le passereau serait l’image de son cœur, et la tourterelle de sa chair. Le passereau a trouvé une demeure pour lui, mon cœur a trouvé un abri. Il exerce ici-bas ses ailes, dans les vertus

  1. Ps. 114,3-4
  2. 2 Cor. 5,6
  3. Ps. 83,2
  4. Id. 3
  5. Rom. 12,12
  6. Ps. 83,4