Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dit, c’est donner à ses paroles une force nouvelle ; c’est en augmenter la malice. Mais voyons comment ils se sont affermis dans leurs projets mauvais. « Faut-il donc. », s’écria le juge, « que je crucifie votre Roi ? » Et ils répondirent : « Nous n’avons point d’autre roi que César[1] ». « Ils se sont affermis dans leurs desseins mauvais ». Pilate leur offrait pour roi le Fils de Dieu ; pour eux, ils lui préférèrent un homme, et par ce choix ils devinrent dignes d’avoir César pour maître, et de n’avoir point le Christ pour roi. Voici encore comment « ils se sont affermis dans leurs desseins pervers ». Pilate ajouta : « Je ne trouve en cet homme rien qui le rende digne de mort »[2]. Et ces hommes « qui s’étaient affermis dans leurs mauvais projets », s’écrièrent : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants[3] ! » « Ils se sont endurcis dans leur injuste résolution. Ils se sont opiniâtrés dans leurs méchants projets », non au détriment du Sauveur, mais « pour leur propre perte ». Comment, en effet, ne seraient-ils pas devenus les victimes de leurs entêtements, puisqu’ils ont dit : « que son sang retombe « sur nous et sur nos enfants ? » Leur endurcissement a donc tourné contre eux, car il est dit en un autre endroit de l’Écriture : « Ils ont creusé devant moi une fosse dans laquelle ils sont eux-mêmes tombés ». Loin de tomber vaincu sous les coups de la mort, Jésus-Christ en est devenu le vainqueur ; quant à eux, ils sont devenus les victimes de leur iniquité, parce qu’ils ont voulu y persévérer.
9. On ne saurait en douter, mes frères, car c’est une chose certaine ; il faut que tu fasses mourir le péché en toi, ou que le péché te fasse périr à son tour ; mais ne t’imagine pas que le péché, dont je parle ; soit un ennemi extérieur : reporte tes regards sur ton propre cœur, et tu verras que cet ennemi est intimement uni à ce cœur pour te combattre. Ah ! ne te laisse pas vaincre par ces passions intérieures, qui sont tes adversaires les plus dangereux, si tu n’en triomphes pas entièrement les luttes que tu dois le plus redouter, te viennent de toi-même ; ton âme te déclare la guerre : c’est là, et nulle part ailleurs, que se trouve pour toi le danger. Tu tiens à Dieu par une partie de ton être ; par l’autre partie, tu tiens au monde et tu y cherches ton bonheur : et toutes les deux se livrent un continuel combat ; puissions-nous tenir à Dieu, y tenir chaque jour davantage, ne point nous en séparer, ne rien perdre de notre attachement pour lui ; car il sera pour nous la source d’une force irrésistible ; et si nous persévérons à coin battre avec courage, nous triompherons inévitablement de notre adversaire intérieur. Votre chair est comme la demeure du péché : puisse-t-elle ne pas en devenir le trône. « Que le péché », dit l’Apôtre, « ne règne point dans ton corps, pour lui faire accomplir ses mauvais désirs[4] ». Si tu ne cèdes point à ses convoitises, si persuasives, si en traînantes qu’elles puissent être, tu réussiras, en leur résistant, à les empêcher de régner en toi, et à les détruire par là, tu n’éprouveras plus de ces luttes intestines où se trouve compromise ton innocence. Mais quand se consommera ce triomphe ? Quand la mort sera ensevelie dans sa défaite, et que notre chair mortelle sera devenue incorruptible[5]. Alors, tu n’éprouveras plus aucune résistance de la part de la matière, et Dieu seul fera désormais ton bon heur. Les Juifs portaient donc envie au Sauveur, ils n’avaient d’autre désir que celui de dominer, et d’exercer le pouvoir souverain : aux yeux de plusieurs d’entre eux, Jésus leur enlevait ce pouvoir ; aussi la soif ardente qu’ils ressentaient pour la domination les poussait-elle à se révolter contre lui. S’ils avaient résisté à leur désir coupable, ils auraient triomphé de leur envie : elle ne les aurait point vaincus, et le Seigneur, qui était venu pour les guérir, les aurait sauvés de la mort. Mais, parce qu’ils ont nourri la fièvre qui les consumait, ils ont repoussé leur médecin ; ils ont agi selon les mouvements et les ardeurs de leur fièvre, et toutes les ordonnances de leur médecin, ils n’en ont tenu aucun compte ; voilà pourquoi ils sont devenus les victimes de leur malice : le Sauveur, au contraire, y a échappé ; car la mort a été détruite en lui, tandis que l’iniquité a trouvé la vie en eux ; et parce qu’ils l’ont laissée subsister, ils sont morts eux-mêmes.
10. « Ils se sont concertés pour dresser leurs pièges en secret, et ils ont dit : Qui est-ce qui les verra ? » Ils s’imaginaient que leurs projets homicides étaient ignorés de leur victime, de Dieu lui-même. Mais supposons que le Sauveur ne fût qu’un homme, et que pareil aux autres hommes, il ne connût pas les pensées

  1. Jn. 19,15
  2. Lc. 23,14-22
  3. Mt. 27,25
  4. Rom. 6,12
  5. 1 Cor. 15,54