Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/475

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S’il ne s’asseyait pas à table avec eux, il ne mangeait point ; s’asseoir à table, c’est manger ; pourquoi donc voyons-nous que le Seigneur a mangé avec les orgueilleux ? Non point avec ces publicains et avec ces pécheurs, car ils étaient humbles, ils connaissaient leur maladie et cherchaient un médecin ; mais c’est avec les orgueilleux pharisiens que nous lisons qu’il mangea. Un de ces orgueilleux l’avait invité ; c’est à lui que déplut cette femme pécheresse, fameuse dans sa ville natale, et qui vint se jeter aux pieds du Sauveur ; c’est à ce pharisien qui disait en son cœur (et la pureté des pharisiens allait jusqu’à ne point se laisser toucher par des hommes impurs ; pour peu que les touchât un homme impur, ils étaient saisis d’horreur, et craignaient de devenir impurs par l’attouchement d’un homme impur) : « Si cet homme était un prophète, il saurait quelle femme vient à ses pieds[1] ». Comment savait-il que Jésus ne connaissait point cette femme ? C’est qu’il le soupçonnait parce qu’il ne la repoussait point ? Lui, Simon, l’eût repoussée bien loin. Or, le Seigneur, non seulement connaissait cette femme, mais il voyait encore les blessures incurables faites à l’orgueil de Simon. À la vue de ses pensées, et pour lui montrer son propre orgueil : « Simon », lui dit-il, « j’ai quelque chose à te dire : un créancier avait deux débiteurs, dont l’un lui devait cinquante deniers, et l’autre cinq cents : comme ils ne pouvaient s’acquitter, il leur remit leur dette à tous deux : qui des deux l’aima le plus ? » Et celui-ci prononça contre lui-même cette sentence que la vérité lui arrachait : « Je crois, Seigneur, que c’est celui à qui il a le plus remis. Alors se tournant vers la pécheresse : Vois-tu cette femme, dit-il à Simon ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as point donné d’eau pour laver mes pieds ; mais celle-ci m’a lavé les pieds avec ses larmes[2] », et le reste que vous savez. Il n’est pas nécessaire de nous arrêter plus longtemps sur les détails de ce passage que nous citons. Ce pharisien donc était orgueilleux, et le Seigneur mangeait avec lui ; pourquoi David nous dit-il : « Je ne prenais mes repas ni avec l’homme au regard orgueilleux, ni avec l’homme au cœur insatiable ? » Qu’est-ce à dire : « Je ne prenais point mes repas ? » Je ne mangeais pas avec lui. Comment nous propose-t-il ce qu’il ne fait point ? Il nous engage à l’imiter : or, nous le voyons dans un festin avec les orgueilleux, comment nous défendra-t-il de manger avec eux ? Pour nous, mes frères, nous nous séparons quelquefois de nos frères, nous nous abstenons de manger avec eux, afin qu’ils se corrigent. Nous acceptons plus volontiers avec les étrangers, avec les païens, qu’avec ceux de nos proches que nous voyons plongés dans une vie de désordres, afin qu’ils en rougissent et s’en corrigent ; ainsi que l’a dit l’Apôtre : « Si quelqu’un n’obéit pas à ce que nous ordonnons par notre lettre, notez-le, et n’ayez point de commerce avec lui, ne le regardez pas néanmoins comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère[3] ». C’est ce que nous faisons souvent avec nos frères pour les guérir ; et pourtant nous mangeons souvent avec des étrangers et avec des impies.
9. Que signifie cette parole : « Je ne prenais point mes repas avec l’homme au regard orgueilleux, au cœur insatiable ? » Un cœur pieux a sa nourriture, et un cœur orgueilleux sa nourriture aussi. C’est en vue de cette nourriture du cœur superbe, que le Prophète a dit : « L’homme au cœur insatiable ». Quelle est la nourriture du cœur superbe ? S’il y a orgueil, il y a envie, il n’en peut être autrement. L’orgueil est père de l’envie, il ne peut engendrer que l’envie, et qu’être toujours avec elle. Tout orgueilleux est envieux, et il se repaît du mal d’autrui. De là cette parole de l’Apôtre : « Si vous vous déchirez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde de vous détruire mutuellement[4] ». Voyez donc de quoi ils se nourrissent, et ne mangez point avec eux, fuyez un tel festin. Mais la joie du mal d’autrui ne les rassasie point, car ils sont insatiables. Garde-toi de tomber de leurs festins dans les filets de Satan. Tel était le festin des Juifs quand ils crucifièrent le Seigneur, ils se repaissaient en quelque sorte ries souffrances du Sauveur ; ce qui est bien différent de nous qui nous repaissons de sa croix, parce que nous mangeons sa chair. Ils lui disaient, en le voyant suspend à la croix et en lui insultant, car leur cœur était insatiable, ils disaient donc : « S’il est le Fils de Dieu, qu’il

  1. Lc. 7,39
  2. Id. 36-44
  3. 2 Thes. 3,11-15
  4. Gal. 5,15