Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome IX.djvu/697

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vos commandements[1] ». Il demande alors l’accroissement et la perfection de ces dons en lui ; autrement, après avoir dit : « Vous avez agi avec douceur envers votre serviteur », comment pourrait-il ajouter : « Enseignez-moi la douceur », sinon pour connaître de plus en plus la grâce divine par la douceur du bien ? Ils avaient la foi, en effet, ceux qui disaient : « Seigneur, augmentez en nous la foi[2] ». Et tant que l’on vit en ce monde, ce doit être là le refrain de ceux qui avanceront dans la vertu. À la douceur le Prophète ajoute « et l’instruction », ou, comme on lit dans plusieurs manuscrits, « et la discipline ». Mais ce mot discipline que les grecs appellent paideian, se met dans les saintes Écritures pour exprimer une science qui s’acquiert péniblement, comme on le voit dans ces paroles : « Le Seigneur châtie celui qu’il aime, il frappe de verges tous ceux qu’il reçoit au nombre de ses enfants[3] ». Cette instruction s’exprime dans les saintes Écritures par disciplina qui est la traduction du grec paideia. Tel est le mot que nous trouvons dans le grec de l’Epître aux Hébreux, et que le traducteur latin a exprimé par disciplina: « Toute discipline, quand on la reçoit, semble causer de la tristesse, et non de la joie ; mais ensuite elle donne à ceux qui ont combattu de recueillir en paix les fruits de la justice[4] ». Celui donc sur qui Dieu verse sa douceur, c’est-à-dire celui à qui il inspire le goût du bien ; et pour m’expliquer plus clairement, celui à qui Dieu donne l’amour de Dieu et du prochain à cause de Dieu, doit prier avec ferveur, afin que ce don s’accroisse en lui, et lui fasse non seulement mépriser pour lui les autres plaisirs, mais endurer pour lui toutes les douleurs. C’est pourquoi le mot discipline est convenablement uni au mot douceur. Car il faut la désirer et la demander, non seulement pour une douceur ou une bonté médiocre, laquelle serait toutefois la sainte charité ; mais cette charité, fût-elle si grande que la violence du châtiment, loin de l’éteindre, ne fît que l’animer en la frappant, comme le vent anime la flamme ; pour elle encore la discipline est désirable. C’était donc peu de dire : « Vous avez fait un acte de douceur envers votre serviteur », si le Prophète ne demandait à Dieu de lui enseigner la douceur, et une telle douceur qu’il pût souffrir avec patience la plus sévère discipline. En troisième lieu vient la science car si la science est plus grande que la charité, loin d’édifier, elle produit l’enflure[5]. C’est donc lorsque la science qui accompagne la douceur est suffisante pour résister sans s’éteindre aux afflictions qui accompagnent la discipline, c’est alors qu’elle devient utile, cri montrant à l’homme ce qu’il a mérité, les dons qu’il a reçus de Dieu, dons qui lui font comprendre qu’il peut alors ce qu’il ne croyait point pouvoir et ce qu’il ne pouvait en effet par lui-même.
3. Pourquoi, néanmoins, le Prophète ne dit-il pas : Donnez-moi ; mais : « Enseignez-moi ? » Comment enseigner la douceur, si elle ne se donne point ? Il en est beaucoup en effet qui savent ce qui ne leur est point agréable ; ils en ont la connaissance, mais n’y trouvent aucune douceur. Car on ne saurait apprendre la douceur, si l’on ne trouve de la douceur à l’apprendre. Il en est de même de la discipline, qui est une peine propre à nous corriger ; elle ne s’apprend que quand on l’éprouve ; c’est-à-dire que ce n’est ni l’attention, ni la lecture, ni la réflexion qui nous la donne, mais l’expérience. Pour ce qui est de la science, dont le Prophète nous parle en troisième lieu quand il dit : « Enseignez-moi », ce n’est qu’en nous instruisant que Dieu nous la donne. Qu’est-ce en effet qu’instruire, sinon donner la science ? Ce sont là deux choses tellement corrélatives, que l’une ne saurait exister sans l’autre. Nul en effet n’est instruit s’il n’apprend, et nul n’apprend si on ne l’instruit. Et dès lors qu’un disciple n’est point capable de comprendre ce que son maître enseigne, le maître ne saurait dire : Je lui ai enseigné, mais il n’a rien appris ; il peut dire au contraire : J’ai dit ce qu’il fallait dire, mais il n’a pas appris, parce qu’il n’a pu rien percevoir, rien saisir, rien comprendre. Car le disciple aurait appris, si le maître l’eût instruit. Aussi, quand le Seigneur veut nous instruire, il nous donne d’abord l’intelligence, sans laquelle un homme ne saurait apprendre ce qui tient à la doctrine d’en haut ; c’est pour cela que le Prophète va dire à Dieu : « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne vos commandements[6] ». Aussi bien, quand un homme en veut instruire un autre, il peut dire ce que le Sauveur après sa résurrection disait à ses disciples ; mais il ne saurait faire

  1. Ps. 118,66
  2. Lc. 17,5
  3. Héb. 12,6
  4. Id. 11
  5. 1 Cor. 8,1
  6. Ps. 118,78