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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/225

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écrivain. Avec cette diversité de prophètes, le Saint-Esprit nous apparaît dictant leurs révélations comme si chacune d’elles était l’œuvre de tous et comme si toutes étaient l’œuvre de chacun. Il suit de là que les prophéties écrites par Jérémie, sont autant de Zacharie que de Jérémie, et celles de Zacharie autant de Jérémie que de Zacharie. Pourquoi, dès lors, saint Matthieu eût-il attaché tant d’importance à corriger le nom d’un prophète, qu’il avait cité pour un autre ? N’était-il par préférable que, se soumettant d’une manière absolue à la direction du Saint-Esprit, dont il sentait plus que nous l’action puissante, il laissât écrit ce qui était écrit, pour nous rappeler qu’il règne entre tous les prophètes une concordance telle, que loin devoir un absurdité on ne vit qu’une haute convenance à attribuer à Jérémie, ce qui avait été réellement dit par Zacharie ? Je suppose qu’aujourd’hui un auteur, voulant citer les paroles d’un autre, se trompe de nom et prenne pour le nom de l’auteur véritable, le nom d’un homme qui lui est très-lié par l’amitié et parles idées. S’apercevant de sa méprise, il se recueille et pour toute correction, il s’écrie je ne me suis pas trompé, en ce sens du moins qu’il a voulu prononcer qu’il y avait une telle similitude de pensées entre le nom cité et celui de l’auteur réel, que l’un est censé avoir dit ce que l’autre a dit réellement. Une telle réponse ne donnerait que plus de force à son témoignage. Or, combien cela n’est-il pas plus vrai encore des prophètes, puisque les livres de chacun doivent être envisagés par nous comme étant les livres d’un seul, ce qui leur donne un caractère bien plus frappant d’unité et de véracité qu’ils n’en auraient s’ils étaient réellement l’œuvre d’un seul ? Laissons donc aux infidèles et aux ignorants le soin de profiter de cette circonstance pour publier le désaccord des saints Évangiles ; que les fidèles et les chrétiens instruits y voient clairement l’unité divine des saintes prophéties.

31. Pour expliquer pourquoi l’Esprit-Saint a permis, ou plutôt a prescrit de substituer le nom de Jérémie à celui de Zacharie, il y a une autre raison ; je la développerai avec plus de soin ailleurs, car je sens le besoin de terminer ce livre. Nous lisons dans Jérémie qu’il acheta le champ du fils de son frère et lui en donna l’argent. Il ne s’agit pas ici, sans doute, du prix dont il est parlé dans Zacharie, c’est-à-dire de trente pièces d’argent ; mais ce dernier prophète ne parle pas davantage de l’achat du champ, en sorte que c’est uniquement l’Évangéliste qui, interprétant la prophétie a réuni et l’achat du champ et les trente pièces de monnaie qui furent le prix de la trahison du Sauveur. Nous trouvons ici l’accomplissement d’une double prophétie, celle de Jérémie parlant de l’achat du champ, et celle de Zacharie parlant des trente pièces d’argent. Si donc, après, avoir lu l’Évangile et y avoir rencontré le nom de Jérémie, on est tenté de lire la prophétie elle-même, on n’y trouvera aucune mention des trente pièces d’argent, mais bien de l’achat du champ ; le lecteur n’aura plus qu’à réunir ces différents passages et à en chercher l’accomplissement dans la personne du Sauveur. Qu’on n’oublie pas toutefois qu’on ne doit pas s’attendre à lire soit dans Zacharie, soit dans Jérémie ces paroles qui terminent le passage de saint Matthieu : « Celui qui a été mis à prix par les enfants d’Israël, et ils en ont acheté le champ d’un potier, ainsi que le Seigneur me fa fait entendre. » Nous devons donc voir, dans ces paroles, une interprétation élégante et mystique de la prophétie, interprétation inspirée divinement et appliquant à Jésus-Christ le prix dont parle le prophète. En lisant Jérémie nous voyons que le prix d’achat du champ doit être jeté dans un vase de terre[1] ; ici le prix de la trahison du Sauveur sert à acheter le champ d’un potier, lequel champ est destiné à la sépulture des étrangers ; image du repos réservé à ceux qui, dans le voyage de cette vie, auront été ensevelis en Jésus-Christ par le baptême. Aussi le Seigneur fait-il entendre à Jérémie que l’achat de ce champ désignait le séjour qu’on ferait, même après la délivrance, sur la terre étrangère. Tels sont les points de vue que je tenais à esquisser pour inviter à examiner plus attentivement ces témoignages prophétiques en les rapprochant l’un de l’autre et en les comparant au récit évangélique. – Voilà ce qu’a dit saint Matthieu du traître Judas.

CHAPITRE VIII. JÉSUS DEVANT PILATE.

32. Voici la suite du récit évangélique : « Jésus s’arrêta devant le préteur qui l’interrogea en ces termes : Es-tu le Roi des Juifs ? Jésus lui répondit : Tu le dis. Et étant accusé par les

  1. Jer. 32, 9-44