Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/233

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

donné d’en haut. Voilà pourquoi celui qui m’a livré entre tes mains est coupable d’un plus grand crime. Et Pilate n’en chercha que davantage l’occasion de le délivrer. » Puisque telle était la disposition de Pilate, combien de temps, pensons-nous, ne dut pas se passer dans un échange de propositions de la part de Pilate et de refus de la part des Juifs, jusqu’à ce qu’enfin le gouverneur fut vaincu par leurs protestations et crut devoir céder ? Nous lisons ensuite : « Les Juifs s’écriaient : Si tu le renvoies, tu es pas l’ami de César, car quiconque se fait roi est l’ennemi de César. En entendant ces paroles, Pilate fit sortir Jésus, et s’assit sur son tribunal, dans un lieu appelé Lithostrotos, en hébreu Gabbatha. On était à la veille de Pâque, vers la sixième heure. » Ainsi, depuis le moment où pour la première fois les Juifs crièrent : « Crucifie-le », jusqu’à celui où Pilate s’assit sur son tribunal, deux heures se passèrent, en hésitation de la part de Pilate, et en tumulte de la part des Juifs ; la cinquième heure était écoulée et la sixième commencée. « Pilate dit donc aux Juifs : Voici votre roi. Ils s’écriaient : Enlève-le crucifie-le. » Et cependant Pilate jusque-là assez insensible à la crainte de la calomnie persistait dans son refus. En effet, c’est alors qu’il reçut le message de sa femme. Saint Matthieu a anticipé sur le moment précis de ce fait, qui ne nous est raconté que par lui et qu’il a glissé dans sa narration à l’endroit qui lui a paru le plus convenable. Faisant donc un dernier effort, Pilate dit aux Juifs : « Que je crucifie votre roi ? Les pontifes répondirent : Nous n’avons d’autre roi que César. C’est alors qu’il le leur livra pour le crucifier[1]. » Pendant que Jésus monte au calvaire, pendant qu’il est crucifié avec les deux larrons, que ses vêtements sont partagés, que sa robe est tirée au sort, et qu’il est couvert d’ignominies, car les ignominies se mêlaient à ses autres souffrances, la sixième heure se passa, et les ténèbres, dont parlent saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, se répandirent sur toute la terre.

47. Arrière donc toute obstination impie ; croyons que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été crucifié à la troisième heure par la langue des Juifs et à la sixième parla main des soldats. En effet, grâce au tumulte de la foule et aux hésitations cruelles de Pilate, deux heures et plus s’écoulèrent depuis le premier cri : « Crucifie-le. » Saint Marc, qui se distingue par une extrême concision, a voulu en quelques mots nous faire connaître la volonté de Pilate et ses efforts pour délivrer le Sauveur. Après avoir dit : « Ils crièrent de nouveau : Crucifie-le ; » quand ils avaient déjà crié pour qu’on leur remît Barrabas, il ajoute : « Pilate leur disait : Quel mal a-t-il donc fait[2] ? » Ces quelques paroles résument tout ce qui s’est fait. Et pour nous faire mieux comprendre sa pensée, au lieu de la formule : Pilate leur dit, il s’exprime ainsi : « Pilate leur disait : Quel mal a-t-il donc fait ? » Ces mots : Pilate leur dit, laisseraient croire qu’il ne parla qu’une fois, tandis que ceux-ci : « Il leur disait », pour peu qu’on veuille les comprendre, nous laissent voir que cet échange de paroles a duré jusqu’au commencement de la sixième heure. Rappelons-nous donc la brièveté du récit de saint Marc, en comparaison de celui de saint Matthieu ; la brièveté du récit de saint Matthieu, en comparaison de celui de saint Luc, et enfin la brièveté du récit de saint Luc, en comparaison de celui de saint Jean, quand surtout chacun de ces évangélistes raconte des circonstances que les autres passent sous silence. Et le récit même de saint Jean, qu’il est concis en comparaison de ce qui s’est passé et du temps qu’il a fallu à ces événements pour se dérouler ! A moins donc de faire preuve de folie ou d’aveuglement, il faut admettre que deux heures et plus ont pu s’écouler pendant cet intervalle.

48. Prétendre que saint Marc aurait pu, s’il en était ainsi, assurer qu’il était trois heures quand il était trois heures et que les Juifs demandaient à grands cris le crucifiement, et rapporter que le Sauveur fut crucifié par eux dans ce moment-là même, n’est-ce pas imposer trop orgueilleusement des lois aux historiens de la vérité ? Pourquoi ne pas dire que si on racontait soi-même ces événements, tous les autres devraient les raconter dans le même ordre et de la même manière ? Celui qui en serait là, daignera du moins soumettre sa manière devoir à celle de saint Marc, qui a cru devoir placer chaque fait à la place qui lui était désignée par l’inspiration divine. Le souvenir des écrivains sacrés n’est-il pas soumis à l’impulsion de Celui qui, d’après le témoignage de l’Écriture, gouverne à son gré l’Océan ? La mémoire, en effet, est une

  1. Jn. 19, 4-16
  2. Mrc. 15, 13,14