Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/267

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les soumettent à la raison, c’est-à-dire à l’intelligence et à l’esprit, qui domptent tous les appétits de la chair, et deviennent le royaume de Dieu là où tout est réglé de telle sorte que la partie principale et la plus excellente de l’homme commande, sans éprouver de résistance, aux autres parties qui nous sont communes avec les animaux, tandis qu’elle-même, c’est-à-dire l’intelligence et la raison, reste soumise à une autorité plus grande, qui est le Fils unique de Dieu, la Vérité même. Car, on ne peut commander à des puissances inférieures, si l’on ne se soumet à une puissance supérieure. Et voilà la paix réservée sur la terre aux hommes de bonne volonté[1] ; voilà la vie d’un homme parfait et consommé en sagesse. De ce royaume, où la paix et l’ordre sont dans leur plénitude, est exclu le.princede ce siècle qui domine les cœurs pervers et rebelles à l’ordre. Cette paix intérieure une fois établie et consolidée, quelles que soient les tempêtes excitées par celui qui a été jeté dehors, elles ne font qu’augmenter la gloire qui est selon Dieu ; rien ne s’ébranle dans l’édifice ; et l’impuissance des machines dressées contre lui fait voir avec quelle solidité il est construit à l’intérieur. Voilà pourquoi on lit ensuite : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. »


CHAPITRE III. GRADATION ADMIRABLE DES HUIT BÉATITUDES.


10. Voilà quelles sont les huit béatitudes ; car ensuite le Sauveur s’adresse en particulier à ceux qui étaient là, en disant : « Vous serez heureux lorsque les hommes vous maudiront et vous persécuteront » tandis que plus haut il s’adressait à tout le monde. En effet, il n’a pas dit : « Bienheureux les pauvres d’esprit » parce qu’à, vous appartient le royaume des cieux, mais : « parce qu’à eux appartient le royaume des cieux » il n’à pas dit : « Bienheureux ceux qui sont doux » parce que vous posséderez la terre, mais : « parce qu’ils posséderont la terre. » Et ainsi du reste, jusqu’a la huitième sentence : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, « parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » Mais désormais il parle à ceux qui étaient présents, bien que ce qu’il a dit plus haut s’adressât aussi à eux, et que tout ce qu’il paraît leur dire spécialement convienne également à ceux qui étaient absents ou devaient naître dans la suite. C’est pourquoi il faut porter une sérieuse attention à ce nombre de huit. La première béatitude est celle qui provient de l’humilité : « Bienheureux les pauvres d’esprit,» c’est-à-dire ceux qui ne sont point enflés, dont l’âme se soumet à l’autorité divine, et craint d’être livrée au supplice après la mort, bien qu’elle puisse peut-être s’estimer heureuse en cette vie. De là elle arrive à la connaissance des saintes Écritures, où elle doit se montrer douce par esprit de piété, pour ne pas s’exposer à blâmer ce que des ignorants traitent d’absurde et devenir indocile par d’opiniâtres discussions. Dès lors elle commence à comprendre par quels nœuds elle est enchaînée à ce siècle au moyen de l’habitude et du péché ; par conséquent, dans ce troisième degré, qui est celui de la science, elle pleure la perte du souverain bien, en se voyant retenue à l’autre extrémité. Le quatrième degré est celui du travail, des violents efforts que l’âme fait pour s’arracher au plaisir empoisonné qui la captive. Là on a faim et soit de la justice, et le courage est grandement nécessaire, parce qu’on ne quitte pas sans douleur ce qu’on possède avec joie. Dans le cinquième degré, on donne à ceux qui ont persévéré dans le travail un conseil pour s’en délivrer ; car, sans le secours d’une puissance supérieure, personne n’est capable de se débarrasser de misères si grandes et si compliquées ; et ce conseil si juste, c’est de venir en aide à la faiblesse d’un inférieur, si l’on veut recevoir du secours d’un supérieur ; par conséquent : « Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. » Le sixième degré consiste dans la pureté du cœur qui, forte de la conscience des bonnes œuvres, est capable de contempler le souverain bien, qui n’est viable que pour l’intellect serein et pur. Le septième est la sagesse même, c’est-à-dire la contemplation de la vérité, qui pacifie l’homme tout entier, et le rend semblable à Dieu ; d’où cette conclusion : « Bienheureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu. » La huitième béatitude rentre, pour ainsi dire, dans la première ; aussi dans l’une et l’autre nomme-t-on le royaume des cieux. Bienheureux les pauvres d’esprit parce qu’à eux appartient le royaume des cieux » puis Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux ». C’est déjà dire :

  1. Lc. 2, 14