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le royaume des cieux. » Maintenant voyons la suite.


CHAPITRE XI. LE JUGE, LE MINISTRE, L’ADVERSAIRE.

29. « Accorde-toi au plus tôt avec ton adversaire pendant que tu vas en chemin avec lui, de peur que ton adversaire ne te livre au juge, et que le juge ne te livre au ministre et que tu ne sois jeté en prison. En vérité, je te le dis : Tu ne sortiras point de là avant d’avoir payé jusqu’au dernier quart d’un as. » Voici ce que j’entends par juge : « Car le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils[1]. » Voici ce que j’entends par ministre : « Et les anges le servaient[2] » et nous croyons qu’il viendra avec ses anges pour juger les vivants et les morts. Par la prison j’entends les peines des ténèbres, que le Christ appelle ailleurs extérieures[3] ; et je le crois, parce que la joie des divines récompenses est dans l’esprit même, ou dans quelque chose de plus intime encore, si cela est possible, suivant ces paroles adressées au serviteur fidèle : « Entre dans la joie de ton Maître[4]. » C’est ainsi que, dans la constitution actuelle de la république, le secrétaire ou la satellite de juge met dehors celui que l’on jette en prison.

30. Quant au dernier quart d’as à payer, on peut raisonnablement l’interpréter en ce sens que rien ne restera impuni. C’est ainsi que nous disons : Jusqu’à la lie, quand nous voulons exprimer que quelque chose a été exigé jusqu’à ce qu’il n’en restât rien. Peut-être ce dernier quart d’as signifie-t-il les péchés commis sur la terre. En effet des quatre éléments que nous distinguons dans ce monde, la terre vient en dernier lieu : le ciel d’abord, puis l’air, puis l’eau, puis la terre. Ces mots : « Que tu n’aies payé jusqu’au dernier quart d’un as » pourraient ainsi s’entendre : jusqu’à ce que tu aies expié les péchés terrestres ; vu qu’Adam pécheur s’est entendu dire : « Tu es terre[5]. » Quant à ces expressions : « avant d’avoir payé ». Je m’étonnerais fort qu’elles ne signifiassent pas la peine que nous appelons éternelle. Comment en effet payer une dette là où il n’y a plus moyen de se repentir ni de se corriger ? Peut-être cette forme de langage : Jusqu’à ce que tu aies payé » est la même que celle-ci : « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je mette tous vos ennemis sous vos pieds[6] » car cela ne veut pas dire que le Fils cessera d’être à la droite du Père, quand il aura ses ennemis sous ses pieds ; pas plus que ces paroles de l’Apôtre : « Car il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait mis ses ennemis sous ses pieds » ne signifient que le Fils cessera de régner, quand ses ennemis seront sous ses pieds. De même donc qu’il faut entendre ces paroles. Il faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait mis ses ennemis sous ses pieds » en ce sens que le Christ régnera toujours, parce que toujours ses ennemis seront sous ses pieds ; ainsi peut-on entendre ces paroles : « Tu ne sortiras point de là avant d’avoir payé jusqu’au dernier quart d’un as » en ce sens que le coupable ne sortira jamais, parce qu’il en est toujours à payer le dernier quart d’as, vu qu’il porte la peine éternelle du péché qu’il a commis sur la terre. Et je ne dis point cela pour avoir l’air de couper court à une discussion plus étendue sur les peines des péchés, et dispenser d’examiner comment les Écritures les appelle éternelles. Du reste, il faut plutôt chercher à les éviter qu’à les connaître.

31. Voyons maintenant quel est cet adversaire avec lequel on nous ordonne de nous accorder bien vite, pendant que nous sommes en chemin avec lui. Ce doit être ou le démon, ou l’homme, ou la chair, ou Dieu, Mais je ne vois pas comment on pourrait nous ordonner d’être bienveillants envers le démon, c’est-à-dire de nous mettre d’accord avec lui ; car les uns ont traduit le mot grec eunon par bienveillant, les autres par d’accord ; or on ne nous commande point d’être bienveillants envers le démon, car la bienveillance suppose l’amitié, et personne ne peut dire qu’il faille faire amitié avec le démon ; nous ne pouvons non plus être d’accord avec lui, puisqu’en le renonçant une fois nous lui avons déclaré la guerre, et que nous ne serons couronnés que pour l’avoir vaincu ; nous ne pouvons consentir à rien de ce qu’il veut puisque si nous n’y avions jamais consenti, nous ne serions pas tombés dans de telles misères. Quant à l’homme, bien qu’on nous commande d’être, autant que possible, en paix avec tout le monde, et qu’on puisse appliquer, là, les mots de

  1. Jn. 5, 22
  2. Mt. 4, 11
  3. Ib. 8, 12
  4. Ib. 25, 23
  5. Gen. 3, 19
  6. Ps. 109, 1