modérer, par la pensée d’un divorce, la colère irréfléchie de l’homme qui rejette sa femme. En suscitant ainsi un délai, l’auteur de la loi assez fait comprendre, autant que cela était possible avec des hommes à tête dure, qu’il n’approuvait point le divorce. Aussi le Seigneur, interrogé d’abord sur cette question, répond-il Moïse a fait cela à cause de la dureté de votre tueur[1]. » En effet quelque dur que pût être celui qui voulait renvoyer sa femme, il revenait facilement à des sentiments plus doux en pensant qu’une fois l’acte de répudiation donné, sa femme pourrait impunément en épouser un autre. C’est donc pour fortifier la difficulté du divorce, que le Seigneur n’a excepté que le cas de fornication. Quant aux autres inconvénients, s’il y en a, il veut qu’on les supporte courageusement par égard pour la foi conjugale et la chasteté ; et il appelle adultère l’homme qui épouse une femme même dégagée du lien qui l’unissait à son premier mari. L’apôtre Paul fixe la durée de cet engagement, qui subsiste, dit-il, tant que l’époux vit ; mais, l’époux une fois mort, il accorde la permission d’en prendre un autre[2]. C’est en effet la règle qu’il suit et qu’il donne, non comme un conseil de sa part, ainsi qu’il le fait en quelques circonstances, mais comme un ordre formel du Seigneur quand il dit : « Pour ceux qui sont mariés, ce n’est pas moi, mais le Seigneur qui commande que la femme ne se sépare point de son mari : que si elle en est séparée, qu’elle demeure sans se marier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari ; que le mari, de même, ne quitte point sa femme[3]. » Il faut, je pense, dire aussi du mari : qu’il ne prenne pas d’autre femme quand il a renvoyé la sienne, ou qu’il se réconcilie avec celle-ci. Car il peut arriver qu’il renvoie.safemme pour cause de fornication, suivant l’exception faite parle Seigneur. Or s’il n’est point permis à la femme de se remarier, tant que vit le premier époux qu’elle a quitté, ni à celui-ci de prendre une autre femme du vivant de celle qu’il a renvoyée : il est bien moins permis encore d’avoir un honteux commerce avec les premiers venus. Mais il faut estimer bien plus heureux les époux qui, ayant mis des enfants au monde, ou ayant dédaigné de laisser des héritiers ici-bas, ont pu, d’un commun consentement, observer entre eux la continence, ce qui n’est point contraire à la défense de renvoyer sa femme : car ce n’est point la renvoyer que de vivre avec elle dans un commerce spirituel, et non charnel, et on reste fidèle à cette parole de l’Apôtre : « Il faut que ceux-mêmes qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas[4]. »
CHAPITRE XV. DÉFENSE DE RENVOYER SA FEMME, ET ORDRE D’Y RENONCER.
40. Ce qui inquiète le plus les esprits faibles, qui ont du reste envie de suivre les préceptes du Christ, c’est ce que le Seigneur lui-même dit en un autre endroit : « Si quelqu’un vient à moi, et ne hait point son père, et sa mère, et sa femme, et ses fils, et ses frères, et ses sueurs, et même sa propre âme, il ne peut être mon disciple[5]. » Les hommes trop peu intelligents croient voir ici une contradiction ; en ce que, d’une part le Sauveur défend de renvoyer une femme, hors le cas de fornication, et que, de l’autre, il déclare que quiconque ne hait pas sa femme ne saurait être son disciple. Or, s’il eût voulu parler de l’union charnelle, il n’aurait pas placé dans la même condition le père, la mère, l’époux, les enfants et les frères. Mais combien il est vrai que le royaume des cieux souffre violence et « que ce sont les violents qui le ravissent[6] ! » En effet, quelle violence l’homme doit se faire pour aimer ses ennemis et haïr père, mère, époux, fils, frère ! Et l’un et l’autre sont exigés par Celui qui nous appelle au royaume des cieux ! Mais, avec son aide, il est aisé de montrer que ces prescriptions ne se contredisent point ; seulement elles sont difficiles à remplir, quand on les a comprises, bien que l’aide de Dieu puisse en rendre l’exécution très facile. Car le royaume éternel où le Christ appelle ses disciples, à qui il donne aussi le nom de frères, ne connaît point ces relations de parenté telles qu’elles existent dans le temps. En effet il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, ni esclave, « ni libre ; mais le Christ est tout en tous[7]. » Et le Seigneur lui-même dit : « A la résurrection, les hommes ne se marieront point et ne prendront point de femmes ; mais ils seront comme les anges le Dieu dans le ciel[8]. » Il faut donc que quiconque veut dès ce monde se préparer à cette existence céleste, prenne en haine, non les hommes mêmes, mais ces relations et ces liens temporels, sur lesquels s’appuie cette vie