désigner la droite. Or c’est par le visage que chacun est connu, et nous lisons dans l’Apôtre : « Vous souffrez même qu’on vous asservisse, qu’on vous dévore, qu’on prenne votre bien, qu’on vous traite avec hauteur, qu’on vous déchire le visage » puis il ajoute aussitôt : « Je le dis avec honte[1] » dans l’intention de faire voir que être déchiré au visage, signifie être méprisé et dédaigné. Et l’Apôtre ne dit pas cela pour empêcher les Corinthiens de supporter ceux qui les traitent ainsi, mais afin qu’ils le supportent mieux lui-même qui les aimait jusqu’à être disposé à se sacrifier pour eux[2]. Mais comme on ne saurait dire le visage droit, et le visage gauche, et qu’il y a une noblesse selon Dieu et une noblesse selon le monde ; on distingue la joue droite et la joue gauche, pour que tout disciple du Christ chez qui le nom de Chrétien sera un objet de mépris, soit bien plus disposé encore à voir méprisés en lui les honneurs mondains, s’il en possède quelques-uns. Pourtant le même apôtre Paul, quand on se préparait à poursuivre en lui le nom de chrétien s’il eut gardé le silence sur la dignité de citoyen, ne présentait point l’autre joue à ceux qui le frappaient sur la joue droite. Mais en disant: « Je suis citoyen romain[3] » il n’en était pas moins disposé à voir mépriser en lui ce qu’il avait de moins glorieux, par ceux qui méprisaient en lui un titre si précieux et si salutaire. En a-t-il pour cela supporté moins patiemment les chaînes dont il n’était pas permis de charger un citoyen romain ? Et en a-t-il accusé personne, comme d’une injustice ? Et si on l’a ménagé une fois à cause de sa qualité de citoyen romain, il ne s’en est pas moins offert aux coups en cherchant par sa patience à corriger de leur criminelle malice ceux qu’il voyait honorer en lui le côté gauche par préférence au côté droit. Car ici il ne faut voir que son intention, la bienveillance et la clémence dont il usait envers ses persécuteurs. Il reçoit un soufflet par l’ordre du grand-prêtre, pour avoir dit cette parole qui semblait insolente : « Dieu te frappera, muraille blanchie » mais ce mot injurieux, au jugement de ceux qui n’avaient pas d’intelligence, était prophétique pour ceux qui en avaient. Muraille blanchie signifiait hypocrisie, c’est-à-dire dissimulation voilée sous la dignité sacerdotale et cachant la turpitude et la boue sous un nom éclatant, pour ainsi dire, de blancheur. Car l’Apôtre reste merveilleusement fidèle à l’humilité quand on lui dit : « Tu maudis le prince des prêtres ? » et qu’il répond : « J’ignorais, mes frères, que ce fût le prince des prêtres ; car il est écrit : Tu ne maudiras point le prince de ton peuple[4]. » Une réponse si prompte, si pleine de douceur, que n’aurait pu faire un homme irrité et troublé, montre assez avec quel calme il avait prononcé une parole qui semblait dictée par la colère. Et il disait vrai pour ceux qui auraient su comprendre : « J’ignorais que ce fût le prince des prêtres » C’était comme s’il eût dit : je connais un autre prince des prêtres, pour le nom duquel je supporte ceci, qu’il n’est pas permis de maudire, et que vous maudissez pourtant, puisque vous ne haïssez en moi que son nom. C’est ainsi qu’il faut parler en tel cas, sans dissimulation, et avec un cœur prêt à tout pour pouvoir chanter avec le prophète : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt[5]. » Car beaucoup savent présenter l’autre joue mais ne savent pas aimer celui qui les frappe. Le Seigneur lui-même, qui a le premier accompli les commandements qu’il a donnés, n’a pas présenté l’autre joue au serviteur du grand-prêtre qui le frappait, mais il lui a dit : « Si j’ai mal parlé rends témoignage du mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu[6] ? » Et il n’en était pas moins prêt de cœur, non-seulement à être frappé sur l’autre joue pour le salut de tous, mais encore à être crucifié tout entier.
59. Par conséquent les paroles qui suivent : « Et à celui qui veut t’appeler en justice pour t’enlever ta tunique, abandonne-lui encore ton manteau » doivent s’entendre de la disposition du cœur, et non d’un acte d’ostentation. Et ce qu’on dit de la tunique et du manteau ne s’applique pas seulement à ces objets, mais à tous les biens temporels qui nous appartiennent. Or, si on nous commande de sacrifier le nécessaire, à combien plus forte raison convient-il de ne pas avoir un superflu. Mais en parlant de ce qui nous appartient, j’entends tout ce qui est de l’espèce que le Seigneur désigne, quand il dit : « Si quelqu’un veut t’appeler en justice pour t’enlever ta tunique. » Par conséquent il s’agit de tout ce qu’on peut nous disputer en justice, de ce qui peut passer de notre domaine au domaine de celui qui plaide ou pour qui on plaide, comme