la haine dont brûlent ordinairement ceux qui désirent se venger. Il n’est pas à craindre que les parents prennent en haine leur petit enfant qu’ils ont frappé parce qu’il a commis une faute dont ils veulent prévenir le retour. C’est certainement sur le modèle de Dieu le Père lui-même qu’on nous propose le type de la charité parfaite, quand on nous dit plus bas : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous persécutent » et cependant c’est de lui que le prophète a dit : « Car le Seigneur châtie celui qu’il aime, et il frappe de verges tout fils qu’il reçoit[1]. » Et le Seigneur dit aussi : « Le serviteur qui n’a pas connu la volonté de son maître et fait des choses dignes de châtiment, recevra peu de coups : mais le serviteur qui connaît la volonté de son maître et fait des choses dignes de châtiment, recevra un grand nombre de coups[2]. » On demande donc simplement que celui-là seul exerce la vengeance, qui en a le pouvoir selon l’ordre des choses ; et qu’il l’exerce comme l’exerce un père à l’égard d’un petit enfant qu’il ne saurait haïr, à cause de son âge : Et cet exemple convient parfaitement pour faire comprendre qu’il est quelquefois meilleur de se venger d’une faute par affection que de la laisser impunie, et cela dans le désir, non d’affliger le coupable par la punition, mais de lui être utile par la conversion : tout en se tenant prêt cependant à supporter patiemment, s’il le faut, plus d’injustices encore de la part de celui qu’on désire voir corrigé, soit qu’on ait le pouvoir de le réprimer, soit qu’on ne l’ait pas.
64. Or de grands hommes, des saints, quoique convaincus que la mort qui sépare l’âme du corps n’est point à redouter, mais se conformant aux dispositions de ceux qui la craignent, ont puni certaines fautes de mort, tant pour imprimer la terreur aux vivants que dans l’intérêt même des coupables, à qui la mort était moins sensible que leur péché qui aurait pu s’aggraver s’ils avaient vécu. Et ce jugement, inspiré de Dieu, n’était pas sans fondement. C’est ainsi qu’Elie fit mourir beaucoup d’hommes soit de sa propre main[3], soit en attirant sur eux le feu du ciel[4] : et beaucoup de grands hommes, d’hommes divins, ont agi de la sorte, non inconsidérément, mais dans le même esprit et pour le bien de l’humanité. Les disciples ayant un jour rappelé au Seigneur cet exemple d’Elie, pour lui demander ainsi le pouvoir d’attirer le feu du ciel sur ceux qui leur avaient refusé l’hospitalité, le Seigneur blâma, non l’action du saint prophète, mais le désir de se venger, inspiré par l’ignorance[5], en leur faisant remarquer que c’était la haine, et non le désir de corriger les coupables, qui les animait. Plus tard, quand il leur eut appris ce que c’est qu’aimer le prochain comme soi-même ; quand il leur eut, selon sa promesse, envoyé le Saint-Esprit, dix jours après son ascension[6], les exemples de pareilles vengeances ne manquèrent pas, quoique beaucoup plus rares que sous l’ancienne loi. Alors, en effet, on agissait le plus souvent sous l’empire de la crainte : et maintenant, devenus libres, les chrétiens trouvaient leur principal aliment dans la charité. Nous lisons dans les Actes dès Apôtres, qu’Ananie et sa femme tombèrent morts à la parole de l’Apôtre Pierre, qu’ils ne ressuscitèrent pas et furent ensevelis[7].
65. Que si certains hérétiques[8], ennemis de l’ancien Testament, rejettent l’autorité de ce livre, qu’ils écoutent l’Apôtre Paul (ils le lisent comme nous) parler d’un pécheur qu’il a livré à Satan pour la mort de sa chair, « afin que son âme soit sauvée[9]. » S’ils ne veulent pas voir ici une mort réelle, ce qui ne peut-être douteux, qu’ils conviennent du moins que l’Apôtre a exercé une vengeance quelconque au moyen de Satan, non par esprit de haine, mais par charité, comme l’indiquent ces paroles : « Afin que son âme soit sauvée. » Ou encore, ils trouveront une preuve de ce que nous, avançons dans des livres auxquels ils attribuent une grande autorité ; car ils y liront que l’apôtre Thomas, ayant demandé le genre de mort le plus affreux pour un homme qui l’avait frappé de sa main, tout en priant Dieu d’épargner son âme dans l’autre vie, celui-ci fut tué par un lion ; et un chien, ayant séparé sa main du reste du corps, l’apporta sur la table, où l’apôtre prenait son repas. Nous ne sommes pas obligés de croire à ce livre, qui n’est pas dans le canon de l’Église catholique : mais il est lu et considéré comme l’exposition de la plus pure vérité par nos adversaires ; et ces adversaires, frappés de je ne sais quel aveuglement, s’insurgent contre tous les actes de vengeance corporelle mentionnés dans l’ancien Testament, ne comprenant absolument rien à l’esprit ni
- ↑ Pro. 3, 1
- ↑ Luc. 12, 43-47
- ↑ 1Ro. 18, 40
- ↑ 2Ro. 1, 10
- ↑ Luc. 9, 52-56
- ↑ Act. 2,1
- ↑ Ib. 5, 1,10
- ↑ Les Manichéens.
- ↑ Act. 5, 5