Il est certain que le Seigneur dit cela dans l’Évangile, auquel il faut bien que ces hérétiques se soumettent, bon gré malgré. S’ils sont choqués de voir que Satan demande à Dieu la permission de tenter un juste, je ne me mets pas en peine d’expliquer le fait, mais je les requiers de me déclarer pourquoi le Seigneur lui-même dit dans l’Évangile à ses disciples : « Voilà que Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment » et ensuite à Pierre : « Mais j’ai prié pour que ta foi ne défaille pas[1] ? » En s’expliquant là-dessus, ils se donneront à eux-mêmes la solution qu’ils me demandent. S’ils n’en peuvent venir à bout, qu’ils n’aient point la témérité de blâmer dans un autre livre ce qu’ils admettent sans difficulté dans l’Évangile.
34. Satan donc, tente non en vertu de sa propre puissance, mais par la permission de Dieu, qui veut ou punir les hommes de leurs péchés, ou les éprouver et les exercer dans des vues de miséricorde. Il importe aussi, beaucoup de distinguer la nature de la tentation. Celle où est Judas qui a vendu le Seigneur, n’est point celle où a succombé Pierre qui, par timidité, a renié son Maître. Il y a aussi ce me semble, des tentations humaines, quand par exemple, quelqu’un animé de bonnes intentions, échoue dans quelque projet, ou s’irrite contre un frère dans le désir de le corriger, mais un peu au-delà des bornes prescrites par la patience des chrétiens. C’est de celles-là que l’Apôtre dit : « Qu’il ne vous survienne que des tentations qui tiennent à l’humanité » puis il ajoute : « Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés par-dessus vos forces ; mais il vous fera tirer profit de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer[2]. » Par là il nous fait assez voir que nous ne devons pas demander d’être exempts de tentation, mais seulement de n’y pas succomber. Or nous succomberions, si elles étaient de nature à ne pouvoir être supportées. Mais comme ces tentations dangereuses, où la chute est funeste, prennent leur origine dans la prospérité ou l’adversité temporelle, celui qui n’est point séduit par les charmes
35. Septième et dernière demande : « Mais délivrez-nous du mal. » Il faut demander non seulement d’être préservés du mal que nous n’avons pas, ce qui fait l’objet de la sixième demande ; mais encore d’être délivrés de celui où nous sommes déjà tombés. Cela fait, on n’aura plus rien à redouter ni à craindre aucune tentation. Mais nous ne pouvons espérer qu’il en soit jamais ainsi, tant que nous serons dans cette vie, tant que nous subirons la condition mortelle où la fraude du serpent nous a placés. Cependant nous devons compter que cela arrivera un jour, et c’est là l’espérance qui ne se voit pas, suivant le langage de l’Apôtre : « Or l’espérance qui se voit, n’est pas de l’espérance[3]. » Toutefois les fidèles serviteurs de Dieu ne doivent pas désespérer d’obtenir la sagesse qui s’accorde même en cette vie, et qui consiste à éviter, avec une vigilance assidue, tout ce que nous savons, par la révélation de Dieu, devoir être évité ; et à embrasser, avec toute l’ardeur de la charité, ce qui doit, d’après la même révélation, faire l’objet, de notre ambition. C’est ainsi que quand la mort aura dépouillé l’homme de ce poids de mortalité, il jouira en son temps et sans réserve du bonheur parfait, commencé en cette vie, et à la possession duquel tendent parfois, dès ce monde, tous nos vœux et tous nos efforts.
CHAPITRE X. LES TROIS PREMIÈRES ET LES QUATRE DERNIÈRES DEMANDES.
36. Mais il faut étudier et maintenir soigneusement la différence entre ces sept demande. Car, comme notre vie actuelle s’écoule dans le temps, que nous en espérons une éternelle, et que les choses éternelles l’emportent en dignité, bien qu’on n’y parvienne qu’en passant par les choses du temps : l’objet des trois premières demandes subsistera pendant toute l’éternité, quoi qu’elles aient leur commencement dans cette vie passagère, puisque la sanctification du nom de Dieu a commencé à l’humble avènement du Seigneur ; que l’avènement de son règne, quand il descendra au sein de la gloire, aura lieu, non après les temps, mais à la fin des temps ; que l’accomplissement de sa volonté, sur la terre comme au ciel, soit que par ciel et terre vous entendiez les justes et les pécheurs, ou l’esprit et la chair, ou le Christ et l’Église, ou tout cela à la fois, se complétera par la perfection de notre bonheur, et conséquemment par la fin des temps. En effet la sanctification du nom de Dieu sera éternelle, son règne n’aura point de fin et on nous promet une vie éternelle au sein de la parfaite félicité. Donc