Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/308

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flattent et qui passent chez les hommes pour bonnes et heureuses. Si c’est la sagesse qui rend heureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu[1] ; prions pour être délivrés du mal, car c’est cette délivrance qui nous rendra libres, c’est-à-dire enfants de Dieu, en sorte que nous crions, par l’esprit d’adoption : « Abba, Père[2]. »

CHAPITRE XII. DU JEUNE.

39. Il faut surtout bien remarquer que, parmi ces sept formules de prières que le Seigneur nous impose, il en est une sur laquelle il a jugé à propos d’attirer principalement notre attention : celle qui regarde le pardon des péchés, et par laquelle il veut nous rendre miséricordieux, ce qui est le seul moyen d’échapper à nos maux. En effet les autres demandes ne contiennent point, comme celle-là, une sorte de pacte avec Dieu ; car nous lui disons : « Pardonnez-nous comme nous pardonnons. » Si nous n’observons point la condition, toute notre prière est sans fruit. Et la preuve c’est que le Sauveur lui-même nous dit : « Car si vous remettez aux hommes leurs offenses, votre Père qui est dans le ciel vous remettra à vous-même vos péchés. Mais si vous ne les remettez point aux hommes, votre Père ne vous remettra point non plus vos péchés. »
40. Puis vient le précepte du jeûne, qui tient à cette même pureté du cœur dont il est maintenant question. Car ici il faut se tenir en garde contre toute ostentation, contre cette ambition de la louange humaine qui rend le cœur double, et lui ôte la pureté et la simplicité nécessaires pour comprendre Dieu. « Quand vous jeûnez, ne vous montrez pas tristes comme les hypocrites : car ils exténuent leur visage, pour que leurs jeûnes paraissent devant les hommes. En vérité je vous le dis : ils ont reçu leur récompense. « Pour vous, quand vous jeûnez, parfumez votre tête, et lavez votre visage, pour ne pas apparaître aux hommes jeûnant, mais à votre Père qui est présent à ce qui est en secret ; et votre Père qui voit dans le secret, vous le rendra. » Il est clair que ces recommandations tendent à diriger toute notre intention vers les joies intérieures, à nous empêcher de nous conformer à ce siècle en cherchant notre récompense au dehors, et de perdre.lafélicité promise ; félicité d’autant plus solide, d’autant plus ferme qu’elle est plus intime, et en vertu de laquelle Dieu nous a choisis pour être conformes à l’image de son Fils[3].
41. Il faut surtout remarquer sur ce point que l’ostentation peut se loger, non seulement sous l’éclat et la pompe extérieure, mais aussi sous des vêtements sales et sous l’apparence du deuil ; elle est même alors d’autant plus dangereuse quelle prend le masque de la piété envers Dieu pour mieux tromper. Celui donc qui affecte un soin immodéré de son corps, le luxe dans les vêtements et dans les objets matériels, est par là même facilement convaincu d’être partisan des pompes du siècle ; il ne trompe personne sous une menteuse apparence de sainteté. Mais celui qui fait profession de christianisme, et qui attire sur lui les regards des hommes par une négligence et une malpropreté extraordinaires, et cela volontairement et sans nécessité, laisse voir par le reste de sa conduite, s’il est ma par un véritable mépris des superfluités de la vie ou par quelque secrète ambition : car, en nous ordonnant de nous défier des loups cachés sous des peaux de brebis, le Seigneur nous dit : « Vous les connaîtrez à leurs fruits. » En effet quand certaines épreuves les auront dépouillés ou privés de ce qu’ils ont obtenu ou espèrent obtenir par ces dehors hypocrites, il faudra bien qu’on voie s’il y avait, là, un loup sous une peau de brebis, ou une brebis dans sa peau. Car il ne faut pas qu’un chrétien flatte les regards des hommes par des ornements superflus, sous prétexte que souvent les hypocrites revêtent d’humbles dehors et se contentent du strict nécessaire pour tromper des yeux peu attentifs ; la brebis ne doit pas se dépouiller de sa peau, parce que quelquefois le loup s’en revêt.
42. On demande souvent ce que signifient ces paroles : « Pour vous, quand vous jeûnez, parfumez votre tête et lavez votre visage, pour ne pas apparaître aux hommes jeûnant. » Car on aurait tort de nous prescrire de parfumer notre tête quand nous jeûnons, bien que nous ayons l’habitude de nous laver le visage tous les jours. Si tous conviennent que ce serait là une chose très déplacée, nous devons appliquer à l’homme intérieur cet ordre de se parfumer la tête et de se laver

  1. Mt. 5, 3, 9
  2. Rom. 8, 16 ; Gal. 4, 6
  3. Rom. 8, 29