Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/397

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dans leur plus tendre enfance, mais n’ayant ensuite reçu presqu’aucune éducation, mènent dans une profonde ignorance une vie ignoble, ne sachant pas le premier mot des préceptes ou des défenses, des promesses ou des menaces de la loi chrétienne, ne connaissant ni ce qu’il faut croire ; ni ce qu’il faut espérer, ni ce qu’il faut aimer ? Oserons-nous ne pas attribuer leurs péchés à l’ignorance, sous prétexte qu’ils ont été commis après le baptême, tandis qu’en réalité ces hommes, tout à fait ignorants et ne sachant pas du tout, comme on dit, où ils avaient la tête, étaient complètement égarés lorsqu’ils commettaient le péché ?

17. Le péché contre le Saint-Esprit n’est-il pas tout péché commis sciemment ? — Si l’on prétend que pécher sciemment, c’est pécher dans le temps où on connaît la malice de l’acte que l’on fait, sans que néanmoins on s’en abstienne ; pourquoi alors ce péché n’est-il pas déclaré irrémissible comme opposé à Notre-Seigneur, mais uniquement comme opposé au Saint-Esprit ? Dira-t-on que pour commettre un péché, ou pour dire une parole contre le Saint-Esprit, il suffit de commettre sciemment un péché quel qu’il soit ? Conséquemment, que tout péché commis dans l’ignorance, est un péché contre le Fils, tandis que tout péché commis par un homme instruit, est un péché contre le Saint-Esprit ? Mais, alors, je demanderai où est l’homme qui ignore, par exemple, que c’est un mal d’attenter à la pudeur d’une femme étrangère, ne fût-ce que par la raison, qu’il ne souffrirait pas cette injure dans la personne de sa propre femme ? Chacun ne sait-il pas que c’est un mal de faire tort à un homme dans un marché, de tromper le prochain par des fourberies mensongères, d’accabler celui-ci sous le poids d’un faux témoignage, de tendre des pièges à celui-là pour s’emparer de son bien, de donner la mort à qui que ce soit ? Enfin où est celui qui voyant qu’on lui fait une chose quelconque qu’il ne veut pas qui lui soit faite par autrui, ne sent pas aussitôt toutes les fibres de son cœur s’agiter pour accuser le malfaiteur ? Si l’on prétend que les hommes accomplissent ces actions sans en connaître la malice, où trouver un péché qu’ils semblent commettre avec la connaissance requise ? Si donc le péché contre le Saint-Esprit est proprement celui que l’on commet avec la connaissance de la malice qu’il renferme, il ne reste plus qu’à refuser la pénitence à tous les pécheurs dont je viens d’énumérer les crimes ; car Notre-Seigneur a interdit l’espoir du pardon à ceux qui pèchent contre le Saint-Esprit. Mais si au contraire la discipline chrétienne repousse cette conclusion, si l’Église ne cesse d’exhorter à changer de conduite tous ceux qui commettent ces crimes, il faut continuer nos recherches pour savoir en quoi consiste le péché contre le Saint Esprit, auquel tout pardon est refusé.

18. Est-ce le péché commis avec la connaissance de la volonté de Dieu ? — Mais peut-être ne doit-on pas dire que celui-là commet le péché avec la connaissance suffisante, qui sachant bien que son action peccamineuse est mauvaise, ne connaît cependant ni Dieu ni la volonté de Dieu, au moment où il accomplit cette action ? C’est en effet ce que l’Apôtre semble enseigner, quand il écrit aux Hébreux : « Si nous péchons volontairement après avoir reçu la connaissance de la vérité, il ne nous reste plus désormais de sacrifice pour expier nos péchés[1]. » Ces paroles seraient moins remarquables, s’il avait dit seulement : « Si nous commettons le péché volontairement » sans ajouter : « Après que nous avons reçu la connaissance de la vérité : » connaissance qui certainement n’est pas autre que celle de Dieu et de la volonté divine. Or ce que l’Apôtre dit ici de cette connaissance de la vérité semble se rapporter à cette maxime de Notre-Seigneur : « Le serviteur qui, ignorant la volonté de son Maître, fait des choses dignes de châtiment, recevra peu de coups ; mais celui qui, connaissant la volonté de son maître, fait des choses dignes de châtiment, recevra un grand nombre de coups[2]. » Nous pouvons en effet entendre ces paroles : « Il recevra peu de coups » en ce sens qu’après une légère correction il obtiendra son pardon ; et nous pouvons regarder ces autres : « Il recevra un grand nombre de coups » comme désignant le châtiment éternel dont Notre-Seigneur menace ceux qui pèchent contre le Saint-Esprit, en leur déclarant qu’ils n’obtiendront jamais le pardon de leurs péchés ; d’où il suit que pour commettre un péché contre le Saint-Esprit il suffit de commettre un péché quelconque avec la connaissance de la volonté de Dieu. Mais s’il en est ainsi, il faut auparavant, examiner avec soin et déterminer à quel moment on connaît la volonté de Dieu. Plusieurs ont connu cette volonté même avant

  1. Héb. 10, 26
  2. Lc. 12, 47-48