Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/440

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ditions pour bien vivre, c’est de ne pas craindre ce qui n’est pas à craindre. Mais la mort n’est point à craindre. C’est ce qu’a dù démontrer la mort de l’homme à qui la sagesse de Dieu s’est unie. Or il y a des hommes qui ne redoutent point la mort, mais qui ont horreur de certain genre de mort. Pourtant, l’homme qui vit bien ne doit pas plus craindre tel genre de mort que la mort même. Néanmoins il a fallu que la mort du Dieu-homme le démontrât encore. De tous les genres de mort, en effet, la croix était le plus odieux et le plus redoutable.

XXVI. — De la différence des péchés. — Autres sont les péchés d’infirmité, autres ceux d’ignorance, autres ceux de malice. L’infirmité est opposée à la force, l’ignorance à la science, la malice à la bonté. Quiconque sait ce que c’est que la vertu et la sagesse de Dieu, peut se figurer ce que c’est que les péchés véniels. Et quiconque sait ce que c’est que la bonté de Dieu, peut distinguer quels sont les péchés qui doivent être punis en ce monde et dans l’autre. Ces points bien étudiés, on peut juger avec fondement quels sont les coupables qu’on doit dispenser d’une pénitence douloureuse et pénible, bien qu’ils avouent leur faute ; et quels sont ceux qui n’ont absolument aucun espoir de salut, à moins qu’ils n’offrent à Dieu le sacrifice d’un cœur brisé par la pénitence.

XXVII. — De la Providence. — Il peut se faire que la divine Providence se serve d’un méchant pour punir et pour aider. Par exemple, l’impiété des Juifs a causé leur perte et procuré le salut des nations. De même il peut arriver que la divine Providence sauve et perde par le moyen de l’homme juste, comme le dit l’Apôtre : « Aux uns nous sommes odeur de vie pour la vie ; mais aux autres odeur de mort pour la mort[1]. » Et commetoute tribulation est ou une punition pour les les impies ou une épreuve pour les bons, de même que le traineau, tribula, qui a donné son nom à la tribulation, broie en même temps la paille et en fait sortir le grain ; d’autre part, comme la paix et l’exemption des ennuis temporels profitent aux bons et gâtent les méchants : la divine Providence proportionne tout cela aux mérites des âmes. Néanmoins les bons n’assument pas d’eux-mêmes le rôle d’instruments de punition, et les méchants n’ont pas en vue de procurer la paix. C’est pourquoi les méchants, qui servent d’instruments sans le savoir, ne reçoivent point le prix de la justice dont tout le mérite est à Dieu, mais celui de leur malveillance. De même on n’impute point aux bons le mal qu’ils occasionnent en voulant faire le bien, mais on leur accorde de bon cœur le prix de leur bonne volonté. Ainsi toute créature se fait ou ne se fait pas sentir, est nuisible ou utile, selon les mérites des âmes douées de raison. En effet sous un Dieu souverain, administrant parfaitement tous ses ouvrages, il n’y a rien de désordonné, rien d’injuste dans l’univers, que nous le sachions ou que nous ne le sachions pas. Cependant l’âme pécheresse est parfois blessée ; mais comme elle est où il convient qu’elle soit, et qu’elle souffre ce qu’il est juste de souffrir en pareil état, elle ne dépare nullement, par sa difformité, le royaume universel de Dieu. C’est pourquoi, comme nous ne connaissons pas toutes les sages dispositions de l’ordre divin en ce qui nous concerne nous n’avons que la bonne volonté pour agir selon la loi ; dans tout le reste, nous sommes conduits selon cette loi, qui est immuable et gouverne admirablement tout ce qui est sujet à changement. Donc « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[2]. »

XXVIII. — Pourquoi Dieu a-t-il voulu faire le monde ? — Demander pourquoi Dieu a voulu faire le monde, c’est chercher la cause de la volonté de Dieu. Mais toute cause est efficiente. Or tout efficient est supérieur à son effet. Mais rien n’est supérieur à la volonté de Dieu. Donc il n’en faut pas chercher la cause.

XXIX. — Y a-t-il dans l’univers un haut et un bas ? — « Goûtez les choses d’en haut[3]. » On nous ordonne de goûter les choses d’en haut, c’est-à-dire les choses spirituelles : ce qui doit s’entendre de leur prééminence, et non de quelques lieux ou parties supérieures de ce monde ; attendu que nous ne devons fixer notre cœur nulle part ici-bas, puisque nous devons nous dépouiller du monde entier. Or il n’y a un haut et un bas que dans les parties de ce monde ; quant à l’univers entier, il n’en a point. Car il est corporel, puisque tout ce qui est visible est corporel. Or, dans le corps universel, il n’y a ni haut ni bas. En effet comme tout mouvement en ligne droite, c’est-à-dire non circulaire, peut se faire en six sens en avant et en arrière, à droite et à gauche, en haut et en bas : il n’y a pas de raison pour que le corps universel, qui n’a ni avant ni arrière, ni droite ni gauche, ait un haut et un bas. Ce qui induit ici en erreur, ce sont les sens

  1. II Cor. ii. 16.
  2. Luc, ii, 14.
  3. Col. iii, 2.